Le rire de Mme Lin (Last Laugh)

Un film de Zhang Tao

Le rire de Mme Lin (Last Laugh)

Un film de Zhang Tao

France, Chine, Hong Kong - 2017 - 80 min

Dans un village du Shandong, une vieille paysanne fait une chute. Immédiatement, ses enfants en profitent pour la déclarer inapte et l'inscrivent malgré elle dans un hospice. En attendant qu’une place se libère, la doyenne séjourne chez chacun de ses enfants, alors qu'aucun ne veut la prendre en charge. Elle voyage ainsi de famille en famille, tandis que son état de santé et ses rapports familiaux se dégradent. Un rire désespéré et maladif finit par poindre chez cette vieille femme délaissée.

In the Shandong province, an old farmer woman falls. That is enough for her children to sign her up in a nursing home. Nevertheless, places are rare and the poor ill woman is forced to live at her unwelcoming children’s, waiting for a bed to be freed.


Avec
Yu Fengyuan, Li Fengyun, Chen Shilan, Pan Yun, Ruan Fengming, Zhang Jun, Wei Yongzhi...

Sorti le 27 décembre 2017

Sortie non communiquée

À propos du Rire de Mme Lin

« En 1953, le cinéaste japonais OZU YASUJIRO réalisait Le Voyage à Tokyo, et montrait l'extrême dignité d'un père. En 2017, un jeune réalisateur chinois semble répondre au maître en nous montrant la grandeur d'une mère chinoise dont la force mérite le plus profond respect. »  


WONG KAR-WAI

Paroles de cinéastes

À propos du Rire de Mme Lin

Tel un coup d'épée, Last Laugh traverse les apparences et nous plonge dans le vif de questions essentielles : la vie et la mort, l'absurdité, le détachement, la folie.

Last Laugh c'est ce drôle de rire qui secoue l'héroïne par moments sans raison apparente, un rire - ou peut-être est-ce un sanglot - un rire troublant qui interroge et qui dérange.

L'héroïne, une paysanne pauvre à la fin de sa vie, est épuisée et n'est plus bonne à rien – sauf à prier Bouddha. Zhang Tao arrive à filmer magnifiquement son corps devenu inutile tout en nous cachant la plupart du temps son visage. Comme si ce visage incarnait la Vérité, une vérité qu'il nous fallait chercher. Car Last Laugh n'est pas le drame social réaliste qu'il paraît être. C'est un théorème, c'est la passion d'une sainte, dans la lignée des grands films spiritualistes, de Bresson à Pasolini.

La violence faite à cette femme qu'on trimballe de maison en maison, Zhang Tao la constate sans la juger. Il transcende cette cruauté et l'inscrit dans des symboles de sagesse bouddhiste dont le film s'inspire. Comme son héroïne, le réalisateur se tient sur le seuil, ni dehors ni dedans. Sa démarche devient contemplative à mesure que le corps de l'héroïne s'alourdit, que son visage se tourne vers l'au-delà. À la manière des grands peintres orientaux, il marie les contraires, la tendresse et la cruauté, l'ombre et la lumière, la sagesse et la folie... Last Laugh est un film qui touche au cœur parce qu'il comble l'intelligence.


Wissam Charaf

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Cinéaste


Patrice Chagnard

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Cinéaste


Paroles de cinéastes

À propos du Rire de Mme Lin

Last Laugh, le titre initial, fait écho au couplet de Van Morrison : Don't you love the sound / Of the last laugh my friend ? / Don't you love the sound / Of the last laugh at the end ? Rassurez-vous : je ne vais pas vous spoiler la fin. Tous les cinéphiles se replongeront dans Voyage à Tokyo d'Ozu qui traitait de l'ingratitude, de l'impiété filiale et relatait avec une précision poignante la déliquescence d'une famille japonaise prise au piège de la société de consommation. Zhang Tao explore ici, avec une sensibilité glaçante, les évolutions de la société chinoise devant le vieillissement de la population et dresse un froid constat sociologique de la détérioration des liens familiaux, une résignation nouvelle face aux réalités douloureuses de la vie. Il sonde la noirceur et la cruauté pour mieux exprimer la sagesse, la générosité et la dévotion de cette mère qui incarne un passé révolu où régnait la solidarité. Elle figure à elle seule les drames de toutes les familles frappées – à en perdre leur âme – par la brutalité des mutations de l'économie chinoise. Trimballée de maison en maison, indésirable, elle assiste, mutique, au déchirement familial : ses descendants, fils et filles, brus et gendres, s'étripent sur son sort. C'est avant tout une affaire de gros yuans, mais aussi de garde et d'indépendance. Les jalousies et rancœurs accumulées rejaillissent : ça s'échauffe, ça bouillonne et ça volcanise. Pialat l'impétueux, spécialiste du pied de nez et du bras d'honneur, se serait sans aucun doute délecté du rire de Madame Lin, laquelle attend le mouroir dans des crises d'hilarité aussi inopinées que mystérieuses qui vibrent comme d'irrépressibles sanglots. Pour en revenir à la fin et au titre initial, rappelons que Murnau voulait que le dernier des hommes finisse dans les toilettes de l'histoire, avant qu'on lui impose un happy-end et que Der Letze Mann devienne The Last Laugh, l'unique intertitre du film indiquant : « Mais l'auteur a eu pitié de son héros et inventé un épilogue à peine croyable. » MDR ! Et je m'arrêterai sur cette abréviation.  

Gautier Labrusse

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Programmateur


Le Lux Caen
Paroles de programmateurs

À propos du Rire de Mme Lin

... Dans ce premier film sans la moindre complaisance, Zhang Tao fait la démonstration d'un geste de mise en scène précis et d'un regard d'autant plus assuré qu'il ne prétend dicter à personne ce qu'il doit penser. Il soustrait ainsi ceux qu'ils filment à toute forme de jugement.


Lire le texte dans son intégralité

Jérôme Baron

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Directeur artistique


Festival des 3 Continents Nantes
Paroles de programmateurs

À propos du Rire de Mme Lin

Projeté à l'ACID durant le Festival de Cannes, j'ai eu la chance de pouvoir assister à l'une des premières du film. Le réalisateur, Zhang Tao, était notamment présent pour un échange à la fin de la projection. Il expliqua son radical changement de parcours professionnel, de fonctionnaire chinois à réalisateur ou encore son casting amateur.

Une chute et toute sa famille la pense morte, ou plutôt l'espère. Portrait d'une vieille femme devenue de trop, rejetée par sa famille et ses propres enfants. Cruel contraste, elle priant pour le bonheur de ses enfants, et ceux-là priant, presque, pour que la mort vienne cueillir leur mère. Last Laugh ou Le rire de Madame Lin est la contemplation d'une ruralité chinoise ; alliant noirceur et ironie, douceur et tragédie. Zhang Tao, réalisateur jusque-là méconnu, signe ici un film à situer entre La Ballade de Narayama d'Imamura et Voyage à Tokyo d'Ozu. Le trépas prochain de la vieille femme permet de réunir ses enfants, ce dont elle se réjouit. Mais aucun d'eux ne semble disposé à s'occuper d'elle. Elle choisit alors d'adopter une réaction assez surprenante, le fou rire. Peut-être choisit-elle de rire de la situation plutôt qu'en être attristée ? Zhang Tao n'apporte pas de réponse. Il se contente d'insister sur ce rire gênant, puis insupportable jusqu'à en devenir macabre. Jamais la caméra ne s'approchera dans l'intimité des personnages. Elle restera contemplative de l'action, toujours dans le dos des protagonistes. Le spectateur assistera à une désintégration familiale et au dernier rire, fatal, de Madame Lin. Yu Fengyuan qui joue Madame Lin n'est pas une professionnelle. Elle a d'ailleurs confié à Zhang Tao sa gratitude pour ce rôle. Elle avait toujours rêvé d'interpréter un personnage. Cela accompli, elle pouvait mourir en paix.

Tristan Tazé

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Spectateur & contributeur à Sens Critique


Paroles de spectateurs

À propos du Rire de Mme Lin

Madame Lin croque son modeste repas. Madame Lin, vieille petite femme chinoise un peu ronde, aux cheveux blancs de neige, chemine à petits pas, sous le poids d'un fagot de sorgho plus grand qu'elle. Madame Lin prépare ses légumes, à gestes lents, précis, que plus rien ne presse. Madame Lin joue avec sa petite fille, et lui confectionne habilement l'un de ces modestes jouets de pauvre, fait d'un joli toupet de plumes de coq... Madame Lin pourrait poursuivre sa vie tranquille, s'amenuisant progressivement, si ses enfants, alarmés par une mauvaise chute, ne décidaient, unilatéralement, de la placer dans une institution pour personnes âgées.

On pourrait se croire face à une œuvre de Wang Bing, illustre confrère chinois dont le nom apparaît d'ailleurs dans les remerciements, à la fin du générique, tant la pauvreté est filmée sans fard, dans sa poussière et son dénuement. Pas de musique, si ce n'est aux extrémités, puisque le film s'ouvre et se ferme au son des tambours d'une fête de village, la première, joyeuse, semblant saluer la venue du printemps, et la seconde, guère moins bondissante, des funérailles... Les acteurs, tous non professionnels, sont criants de vérité, conférant à la fiction des allures de documentaire.

Tel semble d'ailleurs bien être le propos de Zhang Tao, non pas nous entraîner dans un joli conte, mais nous ramener vers le réel et vers la condition de ceux que la Chine nomme délicatement « les vieux sans nid ». Les dérobades des enfants devenus adultes pour ne pas prendre leur vieille maman chez eux sont montrées sans concession, dans toute leur petitesse et leur lâcheté ; elles seraient risibles, si le réalisateur ne nous faisait pas comprendre simultanément, par exemple en éclipsant la maman, objet du débat, dans une pièce voisine depuis laquelle elle ne perd pas un mot des échanges, combien ceux-ci sont, pour elle, autant de coups et de blessures qui ne vont pas l'aider à lutter contre les effets du temps qui ont déjà commencé à la dévorer.

Et lorsque, pour ne pas charger excessivement l'un de ses enfants en attendant qu'une « place se libère » dans l'institut qui doit la recevoir, il est décidé qu'elle passera de mains en mains, recueillie successivement par chacun de ses grands petits, on ne s'étonne pas que les différents séjours se révèlent tous plus catastrophiques les uns que les autres. C'est face à ce constat que surgira le « rire de Madame Lin », rire terrible, abyssal, qui la secoue comme des larmes et qui la rend encore plus insupportable auprès de ceux qui sont nés d'elle.

Escorté par les saccades de ce rire métaphysique, Zhang Tao se saisira, avec un tact terrifiant de sensibilité et de justesse, des questions de la maltraitance des personnes âgées et même de leur suicide, très fréquent dans les campagnes chinoises. Les bipèdes bien verticaux qui se sont aventurés dans la salle de projection en ressortent hachés menu, mais sachant gré à ce jeune réalisateur de s'insurger de façon si dense contre des situations qui ne sont en rien réservées à la Chine...

Anne Schneider

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Spectatrice et contributrice à Sens Critique


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