Que faisons-nous de la parole au sein du collectif ? Comment s'en sert-on et la transforme-t-on en décision, en acte ? La parole en elle-même peut-elle constituer l'action, et ouvrir l'individu au temps d'une pensée commune, là où il pourra décider d'agir en connaissance de cause : pour améliorer notre sort à tous ?
Sur la place de la République, un 31 mars 2016, est née la belle âme collective qui s'est nommée toute seule : « Nuit Debout ». Par quelles circonstances magiques un tel évènement, qui rappelle la Cité idéale rêvée par Platon dans La République, a su opposer pendant de longs mois son monde d'idées, ses paroles fragiles, aux CRS, seuls représentants de l'Etat envoyés agir sur la place ? Il y avait là, comme dans un rêve, tous les corps de métiers, tous les âges, toutes les origines. Comme dans un rêve, tous pouvaient s'exprimer librement, et leur parole était respectée. Comme dans un rêve, chaque matin la place était évacuée et il fallait attendre le soir pour rêver à nouveau, ensemble.
Mariana Otero a saisi admirablement cette brèche spatio-temporelle qu'offrait Nuit Debout à l'Histoire, à la politique et au politique, au collectif que nous sommes, habitants de France. Un temps suspendu où, comme chez Rohmer, la parole est action, la seule action humaine qui puisse véritablement nous émouvoir et nous mettre à nu. Car l'émotion vient - et sans elle l'idée n'est rien - de tous ces femmes et hommes qui tentent sincèrement, depuis le fond de leurs singularités, leurs individualités, de trouver les moyens et les modalités d'une parole collective, sans laquelle la démocratie n'est plus qu'un outil de gestion, au sein duquel nous ne sommes plus capables de rêver.