Christophe
Duthoit
Programmateur
Documentaire ou fiction, peu importe, Michele Pennetta réussit à nous faire oublier cette fausse frontière par une mise en scène précise, par un regard et une attention singulière qui permettent à la caméra de s'approcher au plus près des personnages tout en se faisant oublier.
Il mio corpo nous ouvre les portes d'un conte moderne, l'histoire de ceux que notre société a rendu invisibles et dont elle ne veut pas connaître l'existence. L'histoire d'hommes comme Stanley le Nigérian, jetés comme de la ferraille le long des routes, comme Oscar et sa famille de ferrailleurs qui la ramassent. Deux récits de survies guidées par un profond désir d'une vie meilleure.
Il mio corpo raconte aussi la Sicile, une terre minière jadis riche qui n'en porte plus que la cicatrice. Un lieu où le temps s'étire, où chacun se débat pour briser le cycle dans lequel son histoire s'enlise.
Aucun misérabilisme, aucune esthétisation de la misère. Pourtant, séquence après séquence, la puissance de la lumière sicilienne joue des contrastes et, sans jamais trahir le sujet, restitue la beauté que porte chaque personnage. La magie de l'image opère et chaque plan révèle un cadre parfait, quasi photographique – sans pour autant chahuter l'impression de naturel dans laquelle nous plonge le film.
Peu à peu, nous spectateurs devenons un ces personnages, trouvons notre place au milieu de ces histoires, partageons ce désir d'un futur meilleur et sommes emportés par les moments de grâce et de poésie du film – comme lors de la séquence de la baignade.
A ses personnages peu bavards, à la Sicile, Michele Pennetta offre une bande-son d'exception : le Stabat Mater de Pergolèse, seule musique du film et œuvre destinée par son auteur à n'être jouée que dans une église, avec interdiction de l'écrire. La légende raconte que le jeune Mozart aurait entendu cette œuvre dans une église napolitaine et qu'il en aurait la nuit suivante retranscrit de mémoire la partition intégrale qui nous est parvenue.
Il mio corpo est un peu cette histoire : l'invisibilité brisée pour être livrée à nos regards.
Publié le vendredi 16 octobre 2020