A propos de L'Angle mort

Simon
Lehingue

Programmateur

Au cinéma, le spectateur vient pour voir. Tantôt la vie exhaussée et scintillante de ses doubles (s'il choisit la fiction), tantôt les fortunes des destinées inconnues (s'il choisit le documentaire). Il n'est que rarement invité à venir voir ce que « voir » ou « ne pas voir » veulent dire. Il ne s'attend pas à trouver dans ce qu'il voit, du moins, les pièges et les fausses évidences de la visibilité, ses excès et ses souffrances. L'Angle mort est à ce titre un prodige.

Si le film poursuit la figure de l'homme invisible, au pouvoir si réversible – don et malédiction, puissance et prison –, c'est pour l'interroger depuis sa métaphore sociale : quelle perception s'engage quand nous sommes regardés ? qu'advient-il quand nous ne le sommes plus ? que faire de cette fatigue inhérente à l'ubiquité ? de sa violence ? comment se soustraire à la perception commune, réductrice, traîtresse, coupable d'effacement ou au contraire de trop de lumière ? Ces questions, Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic les sculptent : dans le destin d'un homme ordinaire, Dominick Brassan, dans ses trajets de passant, de figurant de la société, dans les aventures de sa visibilité donc. Corps travailleur, corps urbain, corps vieillissant, corps drôle, corps amant, corps épuisé, corps musicien, tenté par la disparition intégrale, pour autant qu'il ne peut se donner, tout entier, par la visibilité.

Seulement, peut-on inventer d'un corps invisible le regard qui saura le garder ? Le film répond de la plus belle et paradoxale des manières, par les images, que oui, que le don de regarder n'est pas le privilège des voyants. Que l'invisibilité est peut-être la nudité définitive du corps, cette beauté irréductible à laquelle on n'accède que par les vibrations du toucher et de la musique. Magnifique et impossible hommage du cinéma à ce dont il est incapable, ne pas voir. Confession d'un art qui regrette peut-être de manquer parfois, si cruellement, de tact.

Simon Lehingue

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Programmateur


Publié le mardi 01 octobre 2019

Paroles de programmateurs

L'Angle mort

Un film de Patrick Mario Bernard
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