Morgan
Pokée
Programmateur
Dans “L'Art termite et l'art éléphant blanc”, un de ses textes les plus célèbres paru en 1962, le critique Manny Farber y distingue le style termite de certains réalisateurs (Walsh et Hawks, ou plus largement les films de série B marquant le cinéma des années 1930 et 1940). Il écrit : « l'art style termite, ver solitaire, mousse ou champignon, a la particularité de progresser en s'attaquant à ses propres contraintes, pour ne laisser d'ordinaire sur son passage que des signes d'activités dévorante, industrieuse et désordonnée ». On pourrait parler ainsi de Magdala de Damien Manivel. Un film « qui pousse par le milieu », et qui apparaît - de par sa pure présence végétale - comme un miracle et, tel un limon entraîné par les eaux et déposé sur le lit et les rives du cinéma, défie, avec « l'ingéniosité du pauvre », l'entendement. Un film qui se veut littéralement une ascension - un mouvement qu'on ressent construit avec des mains d'artisan, au gré des obstacles de la production contemporaine et arraché au réel dans un geste d'une sérénité absolue. Tel le Balzac de Rodin, Magdala paraît modelé dans le bronze et la boue, avec un amour de l'évocation qui ramène à une forme de poésie japonaise (le fameux haïku) mais lorgne également vers la grande forme tellurique du roman russe. Car Magdala, aussi bien maître que marguerite, entièrement connectée à la nature dans laquelle elle se réfugie, jouit également de son retrait hors du monde : elle semble y percevoir alors, à l'instar du film, la plus petite palpitation possible, la dernière sensation infinitésimale ou, plus simplement, ce qui reste après la fin de l'amour : le souvenir d'une caresse. Là aussi, le diable est probablement dans les détails.
Morgan Pokée
-Programmateur
Publié le vendredi 08 juillet 2022