Nous sommes à Tokyo. Nous sommes n'importe où, dans les quartiers résidentiels d'une grande ville du monde. Lui possède des restaurants, elle travaille dans l'informatique. On n'a pas une minute à soi. Bref, un couple moderne, ouvert, qui ne s'embarrasse pas de mariage (lui a déjà donné, avant), des gens à qui tout réussit, des dinkies (double income no kids) sur-adaptés au système. Le problème c'est qu'il y a un kid, un enfant du premier mariage de l'homme d'affaires. Sa mère qui s'en occupe a eu un petit accident, il va falloir le prendre quelques jours à la maison. Quelques jours qui vont devenir le rituel entre chien et loup, d'une initiation à l'amour, à la générosité. A la lumière improbable de l'écran d'ordinateur qu'on éteint jamais, cet homme voué au travail sans fin et à la réussite, cette femme indépendante, libérée et instable, vont réapprendre à partager, à donner, à vivre, sous l'œil rieur et innocent du Kid. Fragile Ozu d'un Japon d'après Oshima devenu empire du non-sens, Nobuhiro Suwa tire de cet haïku sociologique minimal, l'un des plus beaux films sur le couple qu'il m'ait été donné de voir. Loin des Yakusas et des nostalgies samouraï, c'est à la fois une critique radicale du discours individualiste dominant( resserrons l'armure) et un moment de réflexion formelle bouleversant qu'il invente en longs plans incertains, arrachés doucement à la pénombre, à la nuit et au doute. Le jeu d'acteur s'évapore dans la fébrilité d'un geste, le froissement d'un drap, la virtuosité de la caméra s'oublie dans une fixité patiente, frémissante où vient mourir toute couleur locale. Fragments épars de ces « vies innommables » qui luttent pour redevenir des destinées humaines, quelque part sur la « petite planète » pour réapprendre l'autre, l'other et enfin déposer les armes.
Publié le vendredi 15 septembre 2017