À propos de Adieu

Vincent
Dieutre

Cinéaste

En amateur d'opéra, j'ai depuis l'enfance appris à déceler les promesses d'une ouverture, les possibles d'un prélude ; et en contemplant les premières images d'Adieu, métalliques et glacées, le tracé de la caméra qui caresse les machines aux couleurs acidulées, les corps à l'efficace clinique qui les manipulent, j'ai compris qu'il me faudrait vite oublier le corpus encombrant des films « sur le travail », qu'il fallait me laisser envelopper, ravir par cette vague sonore, ample et irrémédiable. De l'implacable chaîne de montage sortiront des camions vierges de toute signalétique, semi-remorques aphones de l'après-Duras : Désormais tout est possible, tous mes appuis sont submergés, Adieu peut commencer. Une voix de conteur installe le non-temps de la parabole. Il était une fois Jonas, même si le Jonas de la Bible s'accroche ici à une réalité brûlante, celle d'un homme sommé de quitter son pays pour fuir les fous de Dieu. Il parle à Leila, sa bien-aimée. Il raconte l'histoire de Jonas. Sans redondance aucune, les images tremblantes nous révèle cet homme en route pour l'exil, qui contemple une dernière fois la ligne imprécise des terrasses et des minarets, et rase les murs des ruelles pour gagner l'aéroport. De l'autre côté de la mer, au fin fond de la France profonde, une famille a perdu Simon, l'un des siens, et expérimente la blessure du deuil dans un monde sans Dieu. Là, Rien ne se résout, chaque discours, chaque rituel, vient buter sur ce désarroi qui nous mine, sur la douleur. Reste alors l'incroyable beauté de la terre, des bêtes, des paysages infinis qui seraient peut-être un refuge s'ils n'étaient hantés de vaisseaux fantômes, ces mêmes camions à la blancheur de mort qui sillonnent le pays, transportant on ne sait quoi vers on ne sait où, monstres pâles et lisses comme la baleine qui avala Jonas. Ouvrant et fermant Adieu, l'histoire de Jonas ne cesse de sourdre sous la chronique familiale, rejaillissant même au cœur du film, le fissurant aussi du sillon glacé des camions. L'entrelacs de la parabole et de la fable se resserre grâce aux images vibratiles, comme furtivement arrachées au réel, cherchant parfois le point, captant la couleur fugace d'un détail, se dédoublant aussi en déchirures telluriques. Et si les réponses au mystère de ce récit duel font défaut, la question du film est posée dans son affolante beauté, renouant ainsi avec la fonction première du cinéma : inviter le spectateur à saisir, le temps d'un film, la beauté complexe de son époque, à en ressentir l'émotion parfaitement inouïe. Adieu tient sa promesse exigeante, sans faiblir, parce que des Pallières et sa dream team (Julien Hirsch à l'image, Martin Weeler à la musique) atteignent aujourd'hui la parfaite maitrise de leur art, lentement mise au point depuis Drancy avenir, via Is dead et Disneyland... Cette façon immodeste de rompre avec le naturalisme auteuriste, cette revendication bouleversante d'un droit au lyrisme, en déroutera plus d'un et c'est tant mieux. Car ce n'est pas sans jubilation que l'on voit un cinéaste chercher et trouver, dans notre monde « déjà filmé », une combinatoire absolument neuve et, enfin, une alternative salutaire au monopole Godardien. Quant à Jonas, chassé du monde encore lisible mais implacable de la loi divine, il ne trouvera chez nous aucun réconfort, broyé dans la machine célibataire de l'emploi et de l'exclusion, avalé tout cru par un système sans compassion ni douceur. Fuyant donc la terrible loi de Dieu, Jonas n'aura rencontré ici que celle du marché et, accomplissant sans le vouloir son destin, ira par charter rejoindre (à Samarkand où ailleurs) sa propre mort qui rôde.

Vincent Dieutre

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Cinéaste


Publié le mardi 12 septembre 2017

Paroles de cinéastes

Adieu

Un film de Arnaud Des Pallières
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