Lieux réels et lieux imaginaires : comment un film contruit-il un territoire ?

Lieux réels et lieux imaginaires : comment un film construit-il un territoire ?

Un lieu est souvent à l'origine de l'écriture d'un film. Par sa matérialité, le décor réel induit ensuite des choix de mise en scène, voire des modifications de scénario… De l'espace physique à l'espace filmique, jusqu'à l'espace mental du spectateur, comment se construit ce territoire imaginaire qu'est le film ? 

Avec la projection de RÊVES DE JEUNESSE d'Alain Raoust.


> à lire également sur le site de notre partenaire France Culture (Conférences).

« À cette question que nous nous sommes posés, j'ai tenté de répondre en vous présentant quatre thèmes : le désert pour évoquer le passage d'un lieu réel à un lieu imaginaire ; la Pampa pour parler de perditions et d'expéditions mais aussi de films où le voyage confronte les personnages à leur existence ; puis Paris, dans une gare : comment un lieu unique peut construire un récit et/ou le déborder ? ; enfin, un peu partout où des lieux offrent la possibilité d'une utopie » Alain Raoust


LE DÉSERT OU LES LIEUX DE PASSAGES DE L'IMAGINAIRE

Zabriskie Point, Michelangelo Antonioni (1970)

« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs »

Citation attribuée par J.L. Godard à André Bazin


Lieu qui noue les personnages, qui déploie l'enjeu du film : un garçon rencontre une fille (ou l'inverse). Zabriskie Point, lieu réel en Californie, devient donc un lieu de rencontre qui détermine la suite du film et justifie, ou plutôt nourrit, la légendaire et célèbre fin du film : explosion d'une maison, symbole d'aliénation de la société de consommation ; mais aussi lieu dans lequel surgit l'imaginaire. Ici sous la forme de l'utopie hippie « peace and love », promesse de collectif, de deux corps devenant plusieurs, se démultipliant comme des cellules de bonheur et de joie, comme une onde, une irradiation.


Surgissement des corps, mais aussi surgissements d'une vision. Celle de Daria. Elle voit, fantasmes, les corps qui apparaissent lorsqu'elle fait l'amour avec Mark. Ils sont dans son regard (par la fin de la séquence). Comme le sera sa vision de l'explosion de la maison à la fin du film. Puissance de l'imaginaire du personnage (Daria), puissance et force du regard qui nous autorise à croire à ce que l'on voit.


LA PAMPA OU LES LIEUX DE PERDITIONS, D'EXPÉDITIONS, DE VOYAGE, DE RETOURS

Jauja, Lisandro Alonso (2014)

Pris au piège d'un territoire hostile, pour de vrai ou de faux, ou plutôt comment des personnages pénétrant dans un territoire vaste se perdent, géographiquement mais aussi mentalement. Le paysage, le territoire devenant alors le lieu de leur folie, le prolongement de frayeurs, d'obsessions, le lieu de rencontre avec le fantastique, le merveilleux ou le poétique, parfois l'horreur, le sanglant mais aussi le pardon, la réconciliation avec le monde ou eux-mêmes.

Il pourrait être question aussi, ici, de tous les films sur le voyage ou bien le retour en terre connue, vécue, et qui constituent de nombreuses trames de scénario (Snow Therapy, Roben Östlund ; Voyage en Italie, Roberto Rossellini ; Retour à Bolène, Saïd Hamiche ; Pour le réconfort, Vincent Macaigne )

Le territoire préexiste-t-il à l'imaginaire du cinéaste ? Par exemple, Alonso - excepté un film - a toujours tourné en Patagonie. Comme l'a écrit un critique à propos de ses premiers films : « Fils d'agriculteur, il a voulu dedans faire apparaître son tropisme pour la vie sauvage ».

À partir de quels éléments du territoire part le cinéaste ? Le paysage du territoire existe-t-il avant le cadre, de quelle manière le cadre raconte le territoire ?


GARES, USINES, SALLES DE CINÉMA ET AUTRES FAUX HUIS-CLOS, OU LES CROISEMENTS DE PAROLES, DE RÉCITS OUVERTS SUR LE MONDE

Gare du Nord, Claire Simon (2013)

Comment un lieu quasi unique et ce qui s'y joue, constitue la matière même du film, son potentiel vivant ? Du lieu réel/existant à l'histoire ou, plutôt du lieu réel à la fiction des personnages > cartographier un moment de notre époque à travers un lieu.


De quelle manière le film rejoint l'enquête d'Ismaël ? C'est à dire, comment l'enquête sociologique qu'il mène devient le support à mettre en scène la gare du Nord, ses chassés croisés, ses drames, son monde, ses micros fictions. La thèse d'Ismaël se nomme : Gare du Nord, place du village global. Il dit souvent aux personnes qu'il croise « Moi, mon sujet, c'est la gare, pas la SNCF ». Il en va de même pour le film : son sujet est la gare comme lieu de destins, de shortcuts, d'histoires qui se mêlent et composent la narration du film. On ne sortira pas de la gare, ou bien à de très rares occasions et pour rester sur le parvis. Sauf pour la fin où on s'échappe de la gare avec Ismaël, avec sa tristesse : fin du film, départ du lieu.


Le film a une dimension fantastique du film car filmer un lieu dans sa globalité, c'est aussi filmer les possibles morts qui l'occupent, ses fantômes. Claire Simon s'en charge : Mathilde au seuil de la mort, voit les fantômes de la gare du Nord (dernier refuge des âmes errantes comme des fugueurs).  Comment le film mêle-t-il acteur et figuration ? C'est à dire, au fond, réel et fiction...


PONTS, CLUBS, PÉNICHES, RADEAUX, CABANES ET AUTRES REFUGES ÉPHÉMÈRES - OU LES LIEUX D'UNE UTOPIE PRÉCAIRE

Les Amants du Pont-Neuf, Leos Carax (1991)

Quels sont ces lieux hors du monde, ou presque, en tout cas à sa périphérie…? Dans lesquels s'invite et se forme une communauté, des couples, des groupes… Qui, le temps d'un été, d'un feu d'artifice, d'une danse, d'une nuit, d'une dérive fluviale, inventent une utopie précaire, singulière, une famille de pensée, d'émotions. Lieux de zone, de zonards, de rêveurs, de résistances à des modèles économiques, lieux dans lesquels surgit le vivant, c'est à dire l'antidote à la mort : grande alliée de l'anti-utopie.

Comment ces lieux singuliers - qui abritent les marges, les marginaux, les déclassés.es, les fous, folles ? se constituent-ils dans le regard du cinéaste ? De quoi le lieu témoigne-t-il dans un film ? La joie, la solitude, la douleur, l'espoir...


EXTRAITS PROJETÉS

  • Zabriskie Point, Michelangelo Antonioni (1970)
  • Jauja, Lisandro Alonso (2014)
  • Gare du Nord, Claire Simon (2013)
  • Les Amants du Pont-Neuf, Leos Carax (1991)

Regardez ou écoutez la séance ACID POP du 18 novembre au mk2 Quai de Seine à Paris, avec Alain Raoust et Clément Schneider :


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Filmographie

  • Gerry (2002), Gus Van Sant
  • Paris, Texas (1984), Wim Wenders
  • Aguirre, la colère de dieu (1972), Werner Herzog
  • Jeremiah Johnson (1972), Sydney Pollack
  • Liverpool (2008), Lisandro Alonso
  • Simone Barbès ou la vertu (1980), Marie Claude
    Treilhou
  • Micheline (2000), Luc Leclerc du Sablon
  • Neige (1981), Jean-Henri Roger et Juliet Berto
  • Les Rencontres d'après minuit (2013), Yann
    Gonzalez
  • Few of Us (1966), Sharunas Bartas
  • Île errance (2017), Clément Schneider
  • À discretion (2017), Cédric Venail

Bibliographie

  • Nos cabanes, Marielle Macé (2019)
  • Le vertige de l'émeute, Romain Huët (2019)
  • Écologie et politique suivi de Écologie et liberté, André Gorz [Michel Bosquet] (2018)
  • André Gorz, une vie, Willy Gianinazzi (2016)
  • Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi (2010)
  • La vie dans les bois, Charles Lane (2010)
  • Walden ou la vie dans les bois, Henry David Thoreau (1854)


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