Après le Rêve algérien et Algérie, mes fantômes, Histoires à ne pas dire est le dernier film de la trilogie de Jean-Pierre Lledo. Jean-Pierre Lledo, revient sur le lieu qui l'a vu naître, l'Algérie, pour faire remonter à la surface tout ce qui a été enfoui, refoulé toutes ces années de guerre qui ont précédé l'indépendance. Après avoir levé un certain nombre de tabous en France dans Algérie, mes fantômes à partir de témoignages de combattants pieds noirs et de harkis, il fallait une sacrée persévérance de cinéaste pour poursuivre cette quête de réévaluation du passé en allant voir ce qui se travaillait de l'autre côté de la Méditerranée.
Dans Histoires à ne pas dire, on assiste à des confrontations directes entre Algériens, acteurs et témoins de la guerre d'indépendance avec une mise en situations sur les lieux où se sont déroulés les évènements.
Le dispositif de Jean-Pierre Lledo est une mise en regard de récits par la confrontation de témoins tout au long d'un parcours à travers différentes villes d'Algérie, de Skikda à Alger, d'Alger à Oran. Comme le destin de Aziz, agronome, élevé dans une ferme de colons, par une famille de pied-noirs, rescapé de l'exécution massive des hommes de sa famille par l'armée française face à sa quête de vérité et de mise au jour de l'assassin de son oncle, liquidé par le FLN, pour avoir épargné des colons lors d'une exaction.
A-t'on vu le reflet de cette femme dans le miroir que l'ancien maquisard a décapité à la machette en lui arrachant les cheveux ou l'a-t'on seulement entendu ? Tout fonctionne comme si la morphologie géologique de ces paysages traversés avec leurs méandres, plaines, hauteurs, soubassements, ravines, méandres, ruines, friches urbaines, tunnels se rattachait au parcours mental des personnages, ravivait la généalogie d'un évènement et mettait à vif les strates psychologiques de chacun face à son drame. Ainsi Katiba - la journaliste qui se promène en exilée au milieu des ruines de la bataille d'Alger et de son quartier d'enfance de Bab-el-Oued - ne cesse d'interroger les absents de ce présent auquel elle se soustrait. On la retrouve sur les hauteurs de la ville en train de confronter une ancienne Moudjahidin sur la légitimité de la violence de la guerre.
Comment rendre plus présent l'assassinat du chanteur juif constantinois
Cheikh Raymond que par la place vide qu'il occupe parmi les peintures murales où figurent tous les grands maîtres de la musique arabo-andalouse. Une double absence puisque celui qui doit témoigner dans le film se retire suite à des pressions.
Et enfin comment faire le lien pour ce jeune metteur en scène des Justes de Camus entre le 5 juillet 1962 jour de liesse de l'indépendance et la rumeur jamais élucidée d'un charnier de pied-noirs dans un étang d'Oran, que traduit la métaphore Ne reste dans l'oued que ses galets, le titre initial du film de Jean-Pierre Lledo ?
Si l'on en juge le degré de violence que le film suscite en Algérie où les autorités s'opposent à sa diffusion dans les salles de cinéma sur son territoire tout en ayant participé à sa production, il faudra encore du temps pour que la chape de silence du passé de toutes ces mémoires enfouies puisse se faire entendre. Et libérer les émotions comme ces chants espagnols entonnés à la fin du film en hommage au chanteur de boogie-woogie Tchichi qui permettent de retisser les liens entre les communautés.