Le curling est un sport bien étrange… Un joueur lance une grosse pierre polie sur la glace, vers le centre d'une cible située à quelques mètres de lui, la « maison ». Devant la pierre, d'autres joueurs de la même équipe donnent de petits coups de balais nerveux pour, selon les cas, la faire glisser plus loin, ou infléchir sa trajectoire. Oui, un sport bien étrange… Presque immobile, avec des gestes suspendus et drolatiques, de lentes accélérations, une concentration de chaque instant ; un sport à l'image du long-métrage de Denis Côté, cocasse, décalé, fascinant. La maison, celle du film, est perdue dans une vastitude glacée. C'est là que vivent Jean-François Sauvageau (Emmanuel Bilodeau, épatant) et sa fille Julyvonne (Philomène Bilodeau, remarquable). Une maison fermée où Julyvonne vit en recluse, sans se rebeller vraiment, claquemurée par un père qui l'aime trop et que le monde effraie… Une maison vers laquelle les autres personnages du film sont attirés, vers laquelle ils glissent lentement, comme les pierres polies du curling : que s'y passe-t-il vraiment, chez les Sauvageau ?... Pourquoi Julyvonne ne va-t-elle pas à l'école ?... Pourquoi Jean-François n'a-t-il presque aucun contact avec l'extérieur ?… Et puis cet épouvantable assassin qui rôde dehors, la nuit… On dit que c'est un camionneur… Et puis un tigre, aussi ?… Va savoir… Curling est un film qui fait peur, un film dans lequel palpite un sombre mystère, comme dans les contes où des ogres hantent les forêts, où les enfants se perdent et découvrent des cadavres congelés (mais exquis) comme des esquimaux, pas ceux du Pôle, mais ceux des salles obscures, à la vanille… Car c'est surtout de cela dont il s'agit dans Curling, du plaisir d'être au cinéma, de voir et d'entendre. Et sans doute qu'au fond l'intrigue (même si elle nous porte, nous étonne, et parfois nous sidère) importe peu. Ce qui compte, c'est le désir de film de Denis Côté, le désir unique de nous proposer un univers inédit, profondément original, sincère et drôle pour fabriquer avec des plans composés, mesurés, brûlants, une œuvre précieuse qui de glissements saugrenus en inflexions poétiques nous emmène au final vers la « maison » la plus difficile à atteindre : l'émotion, et la chaleur, humaine, (cela va sans dire), celle qui fait fondre la glace juste devant la pierre, pour avancer, aller un peu plus loin. Il y a une patinoire près de chez vous ?...