Une guerre c'est champ libre à l'atrocité. Dans les ruines de tout, tue qui devient loi sainte. Et c'est la survivance. Carapacé, regard à la lisière des paupières, l'adaptation de l'homme est illimitée. Si le plus grave, ici, n'est pas forcément la mort, c'est qu'une part de l'essentiel réside dans l'abolition des repères moraux que la guerre cautionne. L'homme retourne à l'état de bête.
En mettant en scène Lina, douze ans, au moment où toute rupture d'avec l'existence vraie est dangereuse, en approfondissant son intimité face aux pièges de la tourmente, « Sur les champs de bataille » répond pleinement à cet état de fait : quoi de plus probant que d'analyser la quête de Lina au travers de ses rapports avec ses proches, de ce qu'il reste, des liens les réunissant encore, pour évoquer le drame de Beyrouth en 1983.
Une famille où l'humain a fait peau de chagrin, où le poker remplace la vie : une tante, puissance financière du clan et barricadée derrière une froideur à visage de folie, une bonne, Siham, esclave autorisée par les temps qui courent, un père à la sensibilité déréglée, désarmé devant sa propre destruction ou la recherchant, une mère qui n'est que larmes, quoi de plus évocateur en effet qu'une famille pour déceler les pannes de sentiments essentiels à la vie.
Le film raconte comment va se vivre, parmi les décombres ces mondes intérieurs, le bien aléatoire passage vers le monde physique et de l'amour, pour l'encore presque enfant en quête du bien et du mal qu'est Lina, comment, livrée à elle-même et au péril de quelque bombardement intempestifs, elle tente de tirer profit des amours clandestines de Siham, de six ans son aînée. Les tirs, les bombes rythment la routine de la vie, la routine des descentes aux caves. La guerre a assassiné l'émotion. Mais le film s'est placé au-delà de l'émotion.
Avec une sobriété sans faille de l'image, du découpage, une distance implacable d'avec les personnages, maintenus comme des insectes évoluant dans la précision du cadre, il dépeint la vie comme la vie elle-même n'ose se dépeindre. L'émotion n'est préservée que là où elle a survécu : dans le cœur et le regard de Lina. Siham va fuir son enfer, courant dans la rue dévastée, s'engouffrant dans la première voiture venue, pourchassée par Lina et l'abandonnant sur place, là où un blindé, un canon se mettent place. La règle de la guerre, ne pas penser au danger, est respectée.