Comme souvent chez Ben Russell et cette fois avec la complicité de Guillaume Cailleau, les gros blocs d'images s'empilent un à un, pour construire Direct Action, un film-mur, solide et majestueux. Ça prendra le temps qu'il faut, d'autant que ce mur d'images est aussi mur de soutien politique, et que l'espace à protéger doit rester habitable, pour le spectateur comme pour celles et ceux qui, le temps d'une bobine de 16mm, viennent peupler le film.
Ici, à Notre-Dame-des-Landes, c'est de vie commune qu'il s'agit : un ample portrait de groupe, dont chaque plan-action vient informer l'être-ensemble qui sous-tend le film.
Libre de toute forfanterie militante, de toute complaisance sympa, Direct Action convoque la possibilité d'un monde autre, mais sans jamais en omettre la fragilité centrale, ni les temporalités parfois ingrates ou fastidieuses. C'est à ce prix que ce cinéma peut effleurer la beauté fugace de l'hétérotopie zadiste, en capter l'énergie brute.
Nous aussi, spectateurs, il faut nous armer de patience.
La pellicule 16mm nous invite à rétablir, comme les Zadistes, un mode plus durable d'emploi du temps filmique; car aucune de ces 216 minutes n'est perdue, si on en admet la grâce entêtante.
Mais au quotidien patiemment observé succède la violence sourde et aveugle du pouvoir dit « légitime ». Des cadres serrés, on passe à d'amples paysages du côté des Bassines de Sainte-Soline, comme si, en stratèges décisifs, nous participions à la bataille.
L'émotion contenue, bâtie plan après plan, nous éclate alors au visage avec sa belle colère vengeresse et salvatrice, avec la puissance renouvelée du cinéma. En en sortant, presque défoncé, groggy, on se dit que ces films-là, ce cinéma-là, pourrait bien être une ZAD, un territoire à réinvestir d'urgence, pour recouvrer notre liberté de spectateur et notre droit imprescriptible à la beauté.