Un homme roule, embarqué dans une voiture qui le mène vers sa communauté d'origine : des Tchétchènes qui ont fui la guerre et trouvé refuge au Pankissi en Géorgie, à deux pas du pays natal. Cet homme, c'est le réalisateur, Déni Oumar Pitsaev. Il est là pour faire ce film et aussi, peut-être, construire la maison de ses rêves sur un terrain que sa mère a acheté pour lui. Une place est-elle envisageable ici pour celui qui vit depuis son enfance en Belgique, et laquelle ?
Déni arpente sa communauté comme il arpente le terrain de sa future maison. Il se met en scène sans narcissisme aucun car il est là pour aller à la rencontre, éprouver les écarts mais aussi les réduire parce que la réalité est toujours plus complexe que ce qu'on s'en raconte.
« Quand te maries-tu ? » ne cesse-t-on de lui demander. Et cette question lancinante sans réponse de sa part, il parvient à l'esquiver sans jamais l'empêcher.
On comprend vite que le groupe d'exilés a dû faire bloc pour survivre au déracinement et continuer à exister comme avant, et qu'il est difficile que l'individu puisse s'épanouir dans ce cadre. C'est cet « inconditionnel » du groupe que Déni questionne. Il sait en déjouer les règles avec douceur, et se fait trait d'union entre la masculinité très valorisée dans cette société patriarcale, et certaines femmes qui lui avouent rêver d'une autre vie.
Deni est toujours à la juste place pour que quelque chose puisse surgir. Grâce aux plans de son improbable maison perchée, il questionne le rapport à la norme et dénoue les langues. Il n'y a pas de vérité unique semble dire sa caméra qui passe de l'un.e à l'autre, à l'écoute. Petit à petit, avec une infinie délicatesse, les personnes se dévoilent. Déni aussi. Il parvient à faire savoir qui il est, sans jamais le dire vraiment. Le film en créant un espace commun où chacun peut déposer qui il est, permet ce petit miracle.
Imago parle de la « dette » par rapport à ceux qui sont restés, du questionnement sur la loyauté par rapport aux règles du clan, et de la force vive de l'émancipation et de la liberté face à l'inertie de la tradition. La vraie liberté ne s'obtiendrait pas par la lutte, mais par l'art de la parole, de l'esquive et de l'approche : laisser l'autre venir à soi plutôt que de vouloir le provoquer et le changer, et jusqu'au bout du voyage rester soi-même.