La Devinière

Un film de Benoît Dervaux

La Devinière

Un film de Benoît Dervaux

Belgique - 2000 - 90 min

"Le 18 février 1976, La Devinière, un lieu de psychothérapie institutionnelle, ouvrait ses portes à 19 enfants réputés incurables, refusés par tous. Ni le sens commun, ni la psychiatrie, ni la pédagogie ne pouvaient les admettre, les reconnaître.Ces enfants, en somme exilés, La Devinière les a acceptés définitivement avec comme principe fondateur de ne les rejeter sous aucun prétexte. Le mot “asile” reprend son sens, un espace sans grille, ni chimie où l'on donne le droit de “vivre sa folie”. Durant plus de vingt ans, des liens de solidarité se sont forgés entre ceux que rien ne reliait. Au fil des saisons, j'ai filmé de plus près ce lieu qui a fait rejaillir la vie, là où tout semblait condamné."

Sorti le 25 avril 2001

Sortie non communiquée

À propos de La Devinière

La Devinière est un très beau film, rare par sa profondeur et par la sûreté de sa route. La Devinère est le nom d'un lieu de vie où ceux qui sont malades de l'esprit sont accueillis d'une façon singulière, et inventive. Là, les malades ont la possibilité de bricoler, machiner, d'oeuvrer avec des choses ou des êtres, à leur idée, et les idées ne manquent pas ! Ce bricolage c'est leur vie et une vision de la nôtre. Mais attention ce film n'est pas un reportage de la même façon d'ailleurs que La Devinière n'est pas un asile pour aliénés. Le cinéma de Benoit Dervaux a quelque chose de fraternel, il filme l'autre comme un semblable, quelqu'un que je pourrais être et c'est cette même fraternité (le malade ça pourrait être moi) qui est là, très présente dans l'écoute du responsable de La Devinière. ça fait parfois peur de se voir dans l'autre qui s'abîme sur les choses, sur les gens, mais de cette peur il faut s'affranchir, on le sait, parce que sinon on ne saura rien de nous-même. Ce film est un voyage dans l'esprit humain Le décalage entre la pensée « saine » et « malade » nous plonge dans une oscillation troublante où on se sent, en tant que spectateur parfois totalement autre, différent des malades filmés, et juste après parfaitement représentés par ces mêmes êtres. Parfois même nous sommes découverts, pointés du doigt. Quand Jean Claude dit qu'il faudrait enfermer celui qui crie, il dit ce qu'on n'ose pas penser des malades, il dit tout ce que ce lieu de vie combat et qui au fond est une simple réaction épidermique de semblable : « je ne veux pas voir ta maladie, car ta souffrance pourrait devenir la mienne ». Mais à l'inverse un peu plus tard quand le même Jean Claude essaye de faire tenir un œuf debout et qu'il réussit nous sommes éblouis devant le miracle qu'il accomplit, miracle que les « sains » d'esprit ne tentent plus depuis longtemps parce que c'est trop difficile, perdu d'avance. Le film travaille, comme peu le font, sur l'idée de l'autre et en ce sens c'est un film philosophique (rien à voir avec des idées gentillettes de tolérance etc.). L'autre pour l'écouter, le regarder, il faut que je m'identifie à lui mais ici l'identification ne va pas de soi. Cet autre–là est quelqu'un comme moi mais il est parfois loin, méconnaissable, derrière son mur de souffrance et de difficulté et cela m'interdit de dire que nous sommes les mêmes. Cet autre-là je le vois se débattre comme moi avec ce qui l'entoure mais avec une force et un malheur qui ne sont pas les miens même si je les reconnais… Tout pour lui est compliqué, il lui faut tout ré-envisager, les choses, les gens, cet autre résiste à tout et demande qu'on renomme le monde les choses et les êtres, comme dans une Genèse perpétuelle. Cet autre-là me fait penser à la figure du clown. Les clowns n'existent pas seulement pour faire rire les petits enfants, et même s'ils représentent nos pulsions et nos désirs d'enfants , les clowns sont avant tout radicalement et éternellement autres. Le personnage du clown ne peut pas se défaire, se fondre en normal. L'Auguste ne sera jamais nous : même s'il nous représente il ne nous ressemble pas. Il a la fonction du chien dans un jeu de quilles, il déstabilise tout, avec sa logique d'autre irréductible. Cette logique du clown même si elle est codée, (c'est une figure) est étrangère au monde auquel elle s'affronte. Même si on peut apprendre à faire le clown, quand on le regarde jouer, opérer, notre plaisir est qu'il soit éternellement imprévisible, résistant. Le clown est donc un opérateur et jamais un personnage, il fonctionne, il fait fonctionner, il agit et ce que nous aimons par-dessus tout c'est justement qu'il opère. Comme il est radicalement autre, on ne peut pas savoir qui il est, car si on pouvait le qualifier il ne serait plus un clown. Que je pense à la figure du clown n'a rien de dérisoire ni pour les personnages ni pour le réalisateur au contraire. Il faut dire que c'est jubilatoire de voir dans ce film, malgré la souffrance toujours présente, les « fous » opérer sur le monde comme s'ils incarnaient cette part d'altérité irréductible devant laquelle les masques tombent. On pourrait dire que tous les films où des fous jouent leur propre rôle mettent plus ou moins en jeu cette figure du clown, sa force de déstabilisation, de révélation, d'opacité et de joie. C'est particulièrement accentué dans La Devinière car Benoît Dervaux s'intéresse davantage au rapport de chacun avec l'extérieur, avec l'autre, malade ou pas, avec le monde. L'être, l'essence, les caractéristiques, l'identité même des personnages qu'il filme au fond nous importent peu, ils sont insaisissables. Ce qui nous fascine c'est le présent perpétuel que cette altérité met en place. Tout est au présent et nous découvrons la vraie face, la face documentaire de la figure du clown... Nous guettons ce qu'il va faire comment il va opérer sur le monde, le bricoler et le renommer. Et peut-être que cette figure du clown, on la rencontre plus souvent qu'il n'y paraît, dans le cinéma documentaire, les personnes filmées sont des êtres réels qui restent toujours inconnus pour une grande part puisqu'ils sont réels dans un temps et un espace qu'on ne pourra jamais résumer, mais le film les fabrique en personnages, et nous spectateurs nous voulons bien croire à ces personnages, oui ils sont de possibles nous-mêmes, nous nous identifions à eux mais fondamentalement ce qui nous saisit c'est qu'ils sont vrais c'est à dire autres. Et c'est cette altérité, qui opère, qui nous tient en haleine et qui nous émeut.

Claire Simon

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