Le film de Renaud Fély se propose comme une chronique de province. Et s'il ne fallait parler du film qu'à cet aune, on ne pourrait que se réjouir de ce document précis que bien des documentaires abandonnent souvent en chemin et que cette fiction nous restitue bellement. Mais le film ne saurait se réduire à cet aspect « réaliste » tant il n'est qu'une strate dans la structure complexe du film. Et il y a là un sens certain du cinématographe. Thomas retrouve Jean-Louis, après bien des années et un soupçon non-dit, dans un mélange d'attente et de fascination, et Le Passage des bêtes nous offre ainsi une histoire sur l'amitié entre hommes, de celles qui ne sont pas une simple histoire mais l'Histoire en soi, de celle donc qui questionne l'existence. Et dès lors, le choix provincial n'est plus un ornement scénarique mais bien l'évidence du Lieu. Si la Nature trouve dans ce film si parfaitement sa place c'est bien parce qu'elle est prise comme élément constitutif de chacun de nous. Autant le dire tout de suite, on marche beaucoup dans le film de Fély, seul ou accompagné, de dos, le soir et le jour, on arpente parce que l'on cherche, on marche beaucoup et l'on parle peu. Mais tout cela ne doit pas effrayer qui que ce soit à moins d'avoir peur de soi-même - ce qui se peut. On parle peu et cela ne veut pas dire que rien ne se dit.
_ Le cinéma est là pour ça, dans l'émotion à laquelle il nous invite, notamment par ce travail remarquable d'utilisation d'un nouvel outil - la caméra numérique - dans le territoire cinématographique, ne sacrifiant rien au cinéma et lui donnant une nouvelle frontière, celle où un champs au petit matin nous est si physiquement proche, celle où la mise en scène disparaît, laissant les personnages de fiction autonomes, cinéastes de leur quotidien, transformant le film en film de famille pendant que l'histoire cependant continue sa route et le film de creuser sa profondeur. Nature et homme, ce qui ne cesse de me surprendre dans le film de Renaud Fély, c'est qu'il ait su montrer cet irréconciliable. Solitude de l'homme, Thomas s'emploie à jouer son rôle. C'est l'amour qui manque, dit-il.