Une fille va rejoindre son père quelque part dans la Sarthe, du côté du Mans. Il le lui a demandé, il veut choisir sa tombe. Voilà le point de départ d'un film qui aurait pu se casser la gueule par excès de sentimentalisme familial ou de surenchère affective. Or si le film d'Annette Dutertre est si beau, c'est parce qu'il est avant tout une réflexion philosophique et sensible sur la matérialité de la mort. Car qu'y a-t-il de plus concret dans la mort que ce que l'on va faire d'un corps ? Qu'on l'enterre ou qu'on le brûle, il faut trouver des boîtes adaptées, et si possible qui pourraient plaire aux vivants. Tout cela entraîne aussi une matérialité de l'économie, et des sentiments. La grande réussite du film d'Annette Dutertre est que tout ce voyage mental et géographique n'est jamais macabre, ni dans les propos, ni dans la douleur, et il n'est pourtant pas davantage désincarné. Parce qu'une mise en scène et une façon singulière de filmer mêle distanciation et présence, parce que plans intimes et plans de fiction sont sans cesse dérangés par le réel que capte la caméra d'Arnaud Larrieu, comme un rappel à l'ordre, par ses dérapages dignes des plus beaux films de famille, que l'on dit « expérimentaux ». Et cette fine mécanique de cinéma nous propulse dans une matière encore plus profonde, intuition et réalité sur lesquelles nous n'avons que peu de prise : le temps. Tout au plus réussit-on à l'organiser. Faire comme si, de son vivant, avec la caméra pour alliée. C'est une autre réussite du film que de restituer cela : ce temps suspendu, ironique presque, qui nous empêche de bien savoir, de trop comprendre, de nous laisser aller.
_ Annette Dutertre ne nous offre pas sa mère, son frère, pas plus que Dieu le père ou le fils du Saint Esprit, elle nous donne généreusement une réflexion. De son intime.