Certains films sont comme des compagnons. Compagnons de route, compagnons de marche. Los Muertos (les morts) est un film sur la marche. Un homme sort de prison et s'enfonce dans la jungle pour revoir sa fille. Il s'arrête en chemin au bord d'une route pour lui acheter une blouse, quelques bonbons. Il fait halte chez une prostituée pour réveiller la vie éteinte par des années d'incarcération. On ne sait rien de lui. On apprend seulement vers la fin du film qu'il a tué ses deux frères. La jungle dans laquelle il s'enfonce est un territoire hallucinant. Pas seulement à cause de la nature, splendide, ou de l'oppression qui s'en dégage. Ce qui fait halluciner le film, c'est la marche. Le décalage barré entre la nature terrienne des gestes, des lieux, des corps, et l'inquiétude tenace qui plan après plan, envahit nos cerveaux. Marcheur Pasolinien, l'homme s'enfonce dans la jungle végétale, négocie une barque et du vin, glisse sur un fleuve, met le feu à une ruche pour récupérer un peu de miel, égorge une chèvre. Les plans s'accrochent à son corps, s'enracinent dans les nôtres, dans nos veines. On sent planer une présence obscure ou lumineuse, on ne sait pas trop, de plus en plus obsessionnelle. Les morts. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Sont-ils devant nous ? Derrière nous ? Autour de nous ? Peut-on se débarrasser des morts ? Et l'homme continue de s'enfoncer dans l'opacité végétale. La dernière demi-heure du film est littéralement stupéfiante. Expérience radicale et hallucinogène, jamais un retour à la vie n'a été montré avec autant de puissance et de simplicité. Film lumineux, terrien, obsessionnel et hanté ; par la simplicité même et la durée de ses plans, Los Muertos, deuxième long-métrage de Lisandro Alonso, démontre plus que jamais à quel point le cinéma ne peut respirer et faire respirer qu'en dehors des formatages télévisuels. Une question se pose. Est-ce qu'ARTE France Cinéma qui a coproduit Los Muertos pourrait encourager et participer au financement d'un cinéma français aussi radical ?