Un œil, un visage, une bouche – noirs – une montagne, un travelling dans un tunnel qui débouche sur le concert d'une jeune chanteuse blanche... Dès le début du film, les images fragmentaires opèrent un retour du refoulé. Les blessures d'un passé hanté s'ouvrent et engloutissent rapidement les deux Réunionnais Marcellin et Alix avec elles.
L'histoire des deux amis figure dans toute son épaisseur le poids du passé esclavagiste de l'île. Car l'oppression engendre le désir d'appartenance à cet idéal – liberté, égalité, fraternité – gravé sur tous les frontons de la République, mais dont ils sont exclus. Et l'exclusion produit de la culpabilité. Le joug de la colonisation et la violence, inscrits dans la chair et les esprits des descendants créoles de la Réunion, se lisent dans les corps et paysages de chaque plan.
La quête qui suit la disparition de Marcellin n'offre aucune échappatoire, si ce n'est par l'alcool ou la possession. Et les effluves alcooliques font revenir à leur tour les fantômes, tels des Érinyes immobiles, dans un cercle vicieux qui mène de nouveau vers l'inconscience de l'ivresse et la perte de mémoire. Le réel nous échappe à tout moment, il se déplace constamment, semble nous narguer, nous embrouiller parce qu'il n'y a jamais eu réparation et que la place de chacun – citoyen blanc, citoyen noir – n'a jamais été questionnée. La séquence centrale où Alix pose en objet d'exposition et où les visiteurs refusent de se mettre à sa place en est l'incarnation troublante.
La réalisation d'Emmanuel Parraud avance par touches et trébuchements et c'est en cela que son projet cinématographique est audacieux et exceptionnel. Son bricolage, au sens noble et au chaos assumé, nous fait trébucher à notre tour sur les racines enfouies de l'identité niée d'un peuple massacré, et en nous mettant face à ce miroir-là, MAUDIT! empêche que le colonialisme et l'esclavagisme puissent être les points aveugles de notre Histoire.
Mais comment remonter le temps pour rendre justice ?