« Toute cette énergie, tout le pays en mouvement, on se sentait au centre de tout ça. La rage des Panthers, l'Université complice de l'Impérialisme...
La révolution n'était pas une suite d'incidents mais toute une vie. »
Au cœur de l'éblouissante fresque de Robert Kramer, ces propos résument la tension qui articule le film, avec lequel, au mitan des années 70, Robert Kramer et John Douglas ont dressé la cartographie polyphonique d'une communauté de militants dispersés sur le territoire américain.
D'une part, le récit des années 60, période charnière de l'activisme américain, où tous les linéaments de la lutte (guerre du Vietnam, ségrégation noire, génocide indien…), sont mis en perspective.
D'autre part, le présent du film, dans la confusion de la période qui a suivi les années militantes, où comment récupérer son histoire personnelle. Comment réfléchir les questions toujours ouvertes des rapports sociaux et intimes les plus universaux : au corps, à l'autre, à la culture, au travail, aux instances de pouvoir, au territoire. Pour Hannah Arendt, ce ne sont pas les individus qui sont politiques, ce sont essentiellement les relations entre eux. C'est précisément cela que filment Kramer et Douglas. Ce qui lie ou délie les individus, les arme ou les désarme dans leur rapport au système. Où vivre, comment vivre, avec qui ? Parler, s'entraider, faire circuler l'expérience, voyager, nous proposent les cinéastes. Injonction toujours féconde à exprimer un je toujours articulé à un nous. L'incroyable liberté filmique de Milestones en fait un film « jalon », au plan formel autant que par son inscription historique. Dans un double mouvement réflexif et créatif, le film brise la dichotomie intime/extime et rassemble dans un même souffle les champs séparés de la vie. Ainsi que ceux du cinéma : documentaire/fiction, traversée des temps et des territoires ; avec pour seule justification, le je/jeu, l'exploration joyeuses d'amorces d'expérience.