Images bleutées. Travellings le long de la Rue des juifs déserte et sombre. Nous sommes au bord de la Mer Noire, dans le quartier juif d'Odessa. Présent et passé s'entremêlent. La caméra montre la décrépitude d'aujourd'hui. Le son évoque le passé foisonnant de vie : chansons populaires russes et yiddish, archives sonores annonçant l'arrivée des allemands, voix qui se font échos pour dire leur nostalgie de cette ville. Car être Odessite c'est bien autre chose qu'être un habitant d'Odessa. « C'est une nationalité », nous dit l'un des personnages. Et tous les protagonistes le vivent ainsi. L'histoire est collective, le récit polyphonique. Le talent de la réalisatrice est d'arriver à créer ce sentiment d'être entre deux temps - passé /présent – et deux désirs - départ/retour. Des sentiments que tous les habitants d'Odessa éprouvent comme tous les exilés de la terre. Il ne s'agit pas seulement de l'Histoire de la deuxième guerre mondiale et de ses conséquences tragiques, mais du rêve que tous les hommes partagent, lorsque opprimés ou malheureux là où ils sont nés, ils abandonnent tout pour sauver leur peau. Parler de cet exil si intime et parvenir à atteindre l'universel, c'est la grande réussite du film.
Odessa, Odessa. América, América. La caméra de Boganim nous embarque – avec un bel hommage à Kazan - pour l'Amérique. On débarque à New York dans le quartier de Little Odessa. On y rencontre une chanteuse de cabaret qui entonne un God Bless America devant une assemblée d'immigrants. Elle n'a pas encore obtenu ses papiers, mais elle espère toujours s'en sortir. La réalisatrice nous entraîne alors vers Ashdod en Israël. Le couple d'Odessite qui a choisi d'immigrer sur cette terre promise brûlée par le soleil avoue qu'il aurait préféré l'Amérique plutôt que cette ville ghettoïsée avec ses barres d'immeubles terrifiantes. Une chose est sûre : un Odessite à Little Odessa ou à Ashdod ne se sent pas tout à fait chez lui. C'est toute l'ambivalence des exilés qui ont le désir de retrouver la terre où ils sont nés mais qui ont peur de faire ce retour. En évoquant le passé, Michale Boganim parvient à nous raconter une histoire mythique qui questionne notre monde d'aujourd'hui. Elle met en scène un documentaire qui se regarde comme un vrai film de cinéma.