Il y a des films où on se perd, d'autres où on se retrouve. On ne préfère pas les uns aux autres. On trouve juste trop rares les films qui permettent les deux.
Si Poursuite ne se laisse pas facilement identifier (force esthétique, faiblesse économique), c'est parce qu'il n'est ni tout à fait familier ni tout à fait étrange. Il mêle le déjà-vu –dans la vie - et le jamais vu.
Familier parce que familial. La famille, c'est toujours un peu chez nous, spectateurs d'un cinéma français dont Poursuite épouse la veine autobiographique dans le style radical d'un Garrel ou d'un Pialat. Marina Déak dans le rôle d'une mère qu'elle connaît sans doute bien. Son fils dans le rôle de son fils. Séparation, tension, désamour. Le récit commence après la rupture bien sûr. En tout cela il reconduit ce que nous faisons de mieux ici. En tout cela il ressemble et se rassemble autour d'un foyer français.
Or dans la même seconde il dissemble, se distingue, se sépare. Quitte la maison. Diffère d'avec lui-même, d'avec ce qu'il semblait avoir installé. Une femme avec un fils sur les bras, oui, mais qui finalement confiera ne pas être mécontente de le laisser à sa mère la plupart du temps. Le cinéma de la cruauté, c'est quand on dénude tout et qu'il apparaît que sans être cruels les gens se font du mal, s'encombrent les uns les autres.
À qui confie-t-elle que son enfant l'encombre ? À la caméra, à nous, et à la suite de deux femmes qui, assises à cette place, ont également parlé de l'après-divorce. Marina Déak s'annonçait auto-fictionnelle, auto-centrée, la voilà qui s'objective dans un dispositif d'interview, se fond dans une ébauche de communauté des mamans contemporaines. La psychologie se mâtine de sociologie. Elles se mélangent, se complètent et s'annulent, inventent un tierce registre.
Il y a des films sociaux et des films d'amour. On ne préfère pas les uns les autres. On trouve juste trop rares le mélange des deux. Leur intrication. Pourquoi les films séparent ce que la vie entremêle confusément ? Ici le dialogue amoureux prend parfois la tournure d'une délibération sur l'appartement à acheter. On ne sait plus bien ce qui, des questions de logement ou les questions sentimentales, tient lieu de cause et d'effet.
Dans Poursuite on ne sait jamais bien. Chaque scène esquive l'étiquette que, reconnaissant des choses, on incline d'abord à lui coller. Attention cette scène de cul est en fait une scène de drame – ou inversement. Cette scène de bain est une scène de rapt d'enfant. La caméra, flottante, se garde bien de donner la clé. L'essentiel ne s'affiche pas au centre du plan. Il y passe, le traverse, l'assombrit furtivement comme le passage d'un nuage sur un visage. Parfois des gestes sont à peine perceptibles, parfois des phrases murmurées à l'écart de la perche, et pas n'importe lesquelles se dit-on si d'aventure on les a perçues. La mère soufflant à son gendre qu'elle le préférait au nouveau compagnon de sa fille. Rien que ça.
La famille encore. C'est la base arrière de poursuite. Mais une base détruite d'où on peut lancer n'importe quelle scène. Poursuite n'est tenu à rien. On dirait film libre si ce n'était un peu creux. Il se permet tout. Il se permet des travellings sur la rue et les gens, déconnectés du récit, et pour montrer sans doute que celui-ci engage tout le monde. Il se permet une séquence à la piscine dont, littéralement, on ne sait pas ce qu'elle vient faire là. Assez onirique pour casser la routine du réel, assez réelle pour ne pas sombrer dans le confort onirique. Poursuite est un film inconfortable, c'est pour ça que j'y suis si bien.