Qu'est-ce qu'un rêve ? L'expression d'un désir refoulé ? Une construction imaginaire nourrie de fragments de réalité ? La porte par laquelle l'invisible vient nous visiter ? Ou les trois à la fois, comme le suggère Anne Feinsilber dans son film Requiem pour (for) Billy the kid, qui mêle avec bonheur introspection, montage de documents et de témoignages, et dialogue d'outre-tombe. Faisant fi des distinctions savantes entre fiction et documentaire, Anne Feinsilber choisit d'enquêter sur un mythe, c'est-à-dire sur quelque chose d'impalpable, aux croisées de la métaphysique et de l'histoire, et qui nous dit autant sur la culture qui l'a créé que sur celui qui se risque à son interprétation. Son dispositif est simple. Une nuit, dans un motel de l'Ouest américain, le fantôme de Billy the Kid vient la visiter. Il lui raconte sa vie. Elle lui parle des souvenirs qu'il a laissés : tombes, témoignages, westerns, photos, récits colportés. Elle évoque l'Amérique qui s'est bâtie sur son sang : celle où les gardiens de vaches ont encore des revolvers à la ceinture. Lui, de son côté, essaie de la séduire. Ne ressemble-t-il pas à son exact contemporain français, Arthur Rimbaud ? Comme lui il aime l'aventure, la débauche, les coups de revolvers et le désert. Comme lui il incarne la jeunesse éternelle. Comme lui il n'a laissé que quelques photos sur lesquelles des générations de jeunes gens ont rêvé, elle sans doute également, avant de vieillir, et de rentrer dans le rang. J'aime ce film car il traverse les frontières. D'un continent à l'autre, l'ancien et le nouveau, d'une langue à l'autre, le français et l'anglais, d'un monde à l'autre, celui des morts et celui des vivants, d'un genre à l'autre, la fiction et le documentaire, d'un sexe à l'autre, l'homme et la femme dont le dialogue est comme une danse. Par ce geste, il nous permet d'embrasser l'autre, qui, justement, n'est pas mon pareil. Il balaie aussi la notion classique de « version originale », et propose deux versions en deux langues, laissant chacun choisir celle de ses rêves familiers (la version française s'ancrant davantage dans le mythe de Rimbaud, et l'américaine dans celui de Billy). Par ce geste enfin, il nous apprend beaucoup. Beaucoup sur ce qu'on appelle la réalité, l'Amérique d'hier et d'aujourd'hui, mais aussi beaucoup sur la puissance de la poésie, et encore davantage sur l'invisible dont nos vies sont faites. Par ce geste, une fois de plus, elle est retrouvée. Quoi ? L'éternité.