“- Faut pas être fier comme ça ! - Mais si, il faut être fier ! Tu sais qu'il faut être fier. Dis-moi que tu le sais !”. Fier, Laurent Cantet a de quoi l'être. Tout comme il peut être fier de son comédien, Jalil Lespert. Ce qui me touche comme cinéaste, et rend pour moi ce film magnifique, c'est de sentir à quel point Laurent Cantet “creuse son sillon” : il travaille encore un peu plus profondément la question qui est la sienne, (déjà présente dans ses courts métrages Tous à la manif et Jeux de plage), la question de la relation d'un fils avec son père, et comment cette relation empêche d'entrer dans le monde, de s'y inventer une place à soi. Cette question qui est la sienne, travaillée de film en film, Laurent Cantet metteur en scène la transmet à son comédien principal, le remarquable Jalil Lespert. Il y a dans cette transmission, qui se traduit par une direction d'acteur magnifique, un acte d'amour de cinéaste. Le film, sobre et naturaliste, devient documentaire de la façon dont le comédien principal se débrouille avec la question dont il est devenu dépositaire. Cette fois-ci, avec Ressources Humaines, cet Œdipe contemporain, très ancré dans les questions politiques d'aujourd'hui (les 35 heures) ne montre pas tant la nécessité du meurtre du père (tuer son père, s'en débarrasser, pour commencer à vivre) que le désir farouche de lui ouvrir les yeux, (et non de crever les siens) de le forcer à regarder en face ! Forcer son père à regarder en face la révolte qui doit être la sienne, afin de ne pas garder comme seul héritage sa honte et sa résignation… En montrant ce combat du fils pour la fierté de son père, (et donc la sienne), Laurent Cantet révèle ce qui noue intimement les conflits intérieurs et les combats de classe et de génération. Il accède par l'intime à une dimension véritablement politique de son cinéma.