Un soir que je discutais avec une amie japonaise, je lui demandais ce que signifiait le jeu sur les manches que pratiquent les femmes dans certaines séquences du théâtre Kabuki. Je sentais bien que quelque chose se jouait dans cette gestuelle où les mains sont couvertes ou à demi découvertes par des manches de costumes exagérément longues. Je sentais bien que quelque chose se jouait mais sans réellement parvenir à en déchiffrer le code secret. Elle m'expliqua alors qu'il s'agissait d'amour et de désir. Plus la femme est amoureuse et plus elle le cache. Tout l'art de cette gestuelle était de signifier le désir, non en l'exhibant mais en le cachant, en recouvrant la peau. Plus la dissimulation était gracieuse et plus cela était équivoque, érotique. Elle poursuivit en m'expliquant que contrairement à l'occident, les femmes japonaises ne cherchent pas à être l'égal de l'homme. Elles cultivent au contraire leurs différences. Là où l'homme japonais étale ses pulsions, hurle pour affirmer sa virilité, la femme chuchote, sourit ou reste silencieuse pour affirmer sa féminité. Elle ne voyait pas en cela la manifestation d'une faiblesse féminine par rapport à la force masculine mais bien sûr, l'affirmation d'un autre pouvoir, d'une force différente et tout aussi puissante. Il n'y aurait donc pas au Japon, cette tendance vers l'indifférenciation des sexes (prise comme progrès social), mais l'affirmation d'une tradition culturelle très forte, tout à fait compatible avec la modernité la plus sophistiquée. Naomi Kawase met en jeu un geste cinématographique qui est pour moi de la même nature que celui du théâtre Kabuki. Son film Shara montre en dissimulant, perçoit les chuchotements. Parce qu'elle cherche et trouve la grâce dans l'apparente banalité des jours qui passent, elle peut nous donner à voir et à entendre, l'air de rien, la violence des sentiments retenus. Une force discrète est à l'œuvre dans cette façon de filmer, quelque chose de têtu qui ne renonce pas devant la vie. Flottante et précise à la fois, cette caméra obstinée dévoile la tendre intelligence d'un regard. Deux adolescents à vélo dans le silence aéré d'une ruelle, la démarche d'une femme sur des socques de bois, l'irruption de la pluie au cours d'une danse rituelle, la disparition d'un enfant, la naissance d'un autre, tout est regardé avec la même attention sensuelle. Naomi Kawase a le don d'érotiser les choses les plus simples, c'est une cinéaste terriblement caressante.