Faire du cinéma politiquement
Il y a, innombrables, les images de la télévision et de la police allemande entremêlées à des plans de Godard, Antonioni, Fassbinder mais il y a surtout, car rares, des extraits de films d'étudiants - Holger Meins, Gert Conradt, Helke Sander, Harun Farocki - de l'Académie du cinéma de Berlin (DFFB) qui tentent « d'apprendre leur métier dans la lutte des classes » et rebaptisent symboliquement leur école Académie Dziga Vertov. Et il y a encore les mots de l'autorité - parents, patronat, église - massivement déversés par l'empire de presse d'Axel Springer auxquels répond fermement, mais déjà sans illusions, Ulrike Meinhof, alors jeune éditorialiste au magazine Konkret et future leader de la Fraction Armée Rouge.
L'entrelacement est ici infini entre cinéma et politique. Jean-Gabriel Périot agence une matière ample - montage en ruptures franches et plans séquences, couleur et noir et blanc, surgissements sonores, intrication du signe et du slogan, images muettes et voix sur fond noir – pour saisir l'Allemagne crépusculaire des « années de plomb » qui vote en 1968 la loi sur l'état d'urgence avec ses restrictions des libertés fondamentales. Le travail de Périot, par et à travers l'histoire d'un cinéma minoritaire, réinscrit dans son temps une génération - Andreas Baader, Ulrike Meinhof, Holger Meins, Gudrun Ensslin... - née dans l'immédiat après-guerre mais qui se sait irrémédiablement condamnée à l'héritage traumatique du passé nazi refoulé par leurs parents.
Une jeunesse allemande donc, qui en 1967-1968, dans l'espoir de renverser le pouvoir d'État bourgeois, veut encore croire collectivement à la puissance révolutionnaire des images et de la parole car « avant de prendre un fusil, on doit utiliser sa caméra pour agir et critiquer ». L'exaltation qui se dégage du lumineux court-métrage Rote Fahne (Drapeau Rouge, Gert Conradt 1968) – des étudiants courent dans les rues de Berlin en brandissant un drapeau rouge – sera contredite dans Johnson & Co und der Feldzug gegen die Armut (Johnson & Co ou la campagne contre la pauvreté, Hartmut Bitomsky,1968) où, déterminée, une jeune femme fusil en main, agenouillée dans la neige, face caméra nous dit : « Nous n'avons pas inventé la violence. Nous l'avons rencontrée ».
Deux années plus tard, à l'orée des années 70, Meinhof, Baader, Meins et Ensslin passaient à la lutte armée. Double impasse, esthétique et politique. Le devoir « d'aller vers les masses et de s'y fondre » n'aura pas été accompli. Dès lors en Allemagne, à de rares exceptions près, ne subsisteront que les images des télévisions et les sentences des procureurs.