Gautier
Labrusse
Programmateur
Discipline hybride, le catch est un sport, un spectacle, et il est également parfois considéré comme une forme d'art : Roland Barthes l'a décrit comme « une pantomime immédiate, infiniment plus efficace que la pantomime théâtrale car le geste du catcheur n'a besoin d'aucune fabulation, d'aucun décor, en un mot d'aucun transfert pour paraître vrai. » En bref, c'est le spectacle à vif de chaque existence et c'est ce que traduit merveilleusement Marie Losier dans un geste documentaire quasi démiurgique où elle parvient à faire corps avec son sujet et son personnage. D'un côté, il y a donc Cassandro, célèbre luchador gay mexicain, dont le corps rapiécé masque de plus en plus difficilement des années de lutte pour maintenir une identité et la fierté de vivre ouvertement son homosexualité, d'en porter haut l'étendard et, au passage, de botter le derrière à des brutes épaisses, souvent homophobes, encagoulées et « empailletées ». Après 30 ans de carrière, Cassandro doit multiplier les efforts pour rester affûté et continuer à encaisser, mais aussi pour soigner son apparence : sa mise en plis, son maquillage, ses costumes. Et dissimuler qu'il est en fait au bout du rouleau. Bien au-delà du catch et de ses matchs arrangés, c'est désormais sa façon à lui de tricher. De l'autre côté, il y a le film, tourné en pellicule, caméra à l'épaule, qui, formellement, rend parfaitement compte de cette période douloureuse : l'image est hésitante, tremblante, sourit en même temps que son héros, accélère avec lui et puis ralentit, craquelle, révélant ses propres fissures, ses failles et fractures. Bien plus qu'une intimité avec son personnage, Marie Losier parvient à créer l'alliance ou, plutôt, l'alliage ultime et idéal entre l'art cinématographique et son sujet.
Gautier Labrusse, président du GNCR et programmateur du Lux à Caen.
Publié le jeudi 15 novembre 2018