Une joie de retrouver Wissam Charaf et le regard unique, singulier, qu'il pose sur le monde tel qu'il va et sur ses personnages. À travers une écriture filmique reposant sur un sens incroyable de la rupture, le réalisateur déjoue toutes les attentes, à la fois celles de ses personnages et des spectateurs, témoignant d'un respect et d'une confiance dans l'intelligence des uns et des autres, et d'une croyance dans la possibilité de "faire monde" avec le cinéma.
L'action du film se déroule à Beyrouth, et conte une romance naissante entre Ahmed, réfugié syrien dont le corps blessé par un éclat d'obus se couvre progressivement de métal, et Mehdia, jeune femme éthiopienne travaillant au domicile d'un couple vieillissant qui l'exploite. Des damnés de la terre, frères et sœurs de celleux qui peuplent les films du finlandais Kaurismäki, réalisateur dont Wissam Charaf semble partager le même regard coupant, intransigeant sur la violence du monde contre celleux que la modernité relègue dans ses bas-fonds, et la croyance dans la possibilité de lui résister à travers une multitude de gestes de solidarité ou de révolte.
Une des scènes inaugurales en est la parfaite illustration : Ahmed, le héros du film, s'arrête devant l'échoppe d'une épicerie et l'étalage de fruits sur la devanture. Alors qu'il esquisse un geste pour dérober l'un des fruits, son regard croise celui de l'épicier surgissant de l'intérieur de sa boutique. L'épicier soutient le regard d'Ahmed un moment, puis lui donne l'un des fruits posés sur l'étalage. Ce pas de côté est le premier d'une longue série qui, de scène en scène, relance l'action en même temps qu'elle déjoue les attentes, détourne les clichés pour montrer les rapports de forces, de classes, de domination, dans toute leur réalité mais aussi dans leur possibilité de se retourner, toujours avec un sens burlesque parfaitement maîtrisé.
Publié le lundi 20 mars 2023