Filmé dans un somptueux 16 mm, Enys Men nous saisit d'emblée par la densité et la force de ses plans, qui s'imposent bien au-delà de leur simple aspect contemplatif. Ainsi, la routine répétitive de l'héroïne, biologiste bénévole sur cette île déserte de Cornouailles frappée par les tempêtes, prend très vite la forme inquiétante d'une partition qui nous envoûte. Son quotidien solitaire, rythmé par ses nécessités ménagères, son observation scientifique et ses déplacements semble s'accrocher à une mécanique rigide, forme de résistance obsessionnelle face à la puissance animiste des roches et des végétaux de la lande sauvage qui menace de l'engloutir.
Jusqu'à ce que des phénomènes étrangers viennent peu à peu en perturber la cohérence, la logique temporelle. Corrosion qui contamine jusqu'au montage, instillant au cœur même du processus cinématographique un dérèglement qui nous fait lentement basculer dans un monde au psychisme hanté. À travers le personnage de cette « volontaire », interprétée avec charisme par l'actrice Mary Woodvine, livrée à la mystique de la nature brute, Mark Jenkin se glisse avec virtuosité dans les codes du cinéma d'horreur folklorique pour nous proposer une expérience cinématographique radicale qui bouscule les principes mêmes de la construction d'un film.
Publié le vendredi 08 mars 2024