Stéphane
Goudet
Programmateur
« Je me suis laissée porter », dit Eva à son amie Sophia. Eva (la première femme) est seule, dans un appartement prêté à Madrid, en plein mois d'août, sans programme précis en tête. Désœuvrée, elle ne sait plus si elle est encore comédienne, n'a plus vraiment de petit ami : elle flotte. Le film, co-scénarisé par la prodigieuse actrice du rôle-titre, Itsaso Arana, est lui aussi en suspension, disponible à toutes les rencontres, sensible à tous les charmes, comme nous : une touriste que l'on suit à distance, une amie retrouvée, des inconnues dans une salle obscure, une voisine étrangère, un ex et d'autres hommes, au fil de l'eau et du récit. Et le spectateur de jouir d'un état réel de vacance. Cette ouverture aux autres, amplement fondée sur le pouvoir de séduction de l'héroïne, exhale un parfum rohmérien persistant, entre Le Rayon vert et Les Rendez-vous de Paris.
La capitale espagnole, accablée de chaleur, est traversée par les fêtes et processions religieuses, créant dans un premier temps une opposition entre la solitude de l'héroïne et la densité de la foule des touristes. Mais la logique du « rituel » finit par contaminer la vie privée d'Eva (le reiki, la promenade au-delà du rideau de verre, les visites d'appartement plutôt que le tourisme urbain), gagnée par la dimension sacrée qui imprègne la ville. Le film brosse alors le portrait d'une jeune femme en Sainte. Une sainte de plus en plus active, enfin actrice de son destin, comme le sont les héroïnes des films hollywoodiens des an- nées 1930 célébrés par son logeur, admirateur de Stanley Cavell. « Ce sont des films sur l'identité féminine, sur le courage d'être soi-même ou de savoir qui on est vraiment », commente-t-il. Aurons-nous affaire à une « comédie du remariage » ? Ce scénario envisagé échoue à l'entrée même d'un cinéma.
Deux autres motifs apparaissent alors, qui vont à leur tour se croiser. L'influence du cosmos sur nos corps et nos âmes relie les étoiles filantes de la « pluie de San Lorenzo » à la pleine lune. En quoi avons-nous foi, nous qui restons si souvent aux portes des églises ? Quelle clé permet d'ouvrir sur la croyance, dans un monde dominé par le « cynisme » ? L'astre nocturne permet la bénédiction de l'utérus et impose sa rondeur lorsqu'Eva manifeste son désir de faire l'amour. Une rencontre amoureuse serait-elle advenue ? Quant à la maternité suggérée dans cette image et dès le titre original (La Vierge d'août qui évoque l'immaculée conception), le motif est filé, lui aussi, depuis la visite du musée archéologique avec la statue de l'impératrice Poppée, tuée durant sa grossesse, jusqu'à l'enfant « primitif » dont la naissance éloigne les amis, en passant par les ovules congelées d'Olka au Danemark. Désormais soucieuse d'autrui plus que d'elle-même, Eva est prête à être « une vraie personne », et peut-être une mère.
Publié le vendredi 16 octobre 2020