A propos de LES AFFLUENTS

Alain
Raoust

Cinéaste

Si vous aimez les tuk-tuk et que vous êtes un peu toc-toc vous serez probablement comme un poisson dans l'eau dans Les Affluents de Jessé Miceli. Premier long-métrage halluciné, frappant et frappé, ovni from Mars mais au final en provenance de Phnom Penh, Cambodge. Sans clou, sans vis, s'enchaînent des microfictions, des fragments, composants un poème qui chercherait à rassembler les membres de sa narration perdue. Soit, en mode mur de pierres sèches sans liant, les trajets de trois garçons qui deviennent également celui de leur famille, de leurs amis, de leurs fréquentations, d'une ville, d'un pays tout entier. Dans ce mouvement, celui d'un travelling arrière qui composerait une vue d'ensemble, la grande force du film est également de nous transformer en un affluent. A l'aise, on se glisse dans le courant, sans trop savoir où tout cela va nous conduire, on est embarqué sans destination précise oubliant même le point de confluence, là où les eaux se mêlent. Captivés, nous sommes liés au quotidien de Songsa, garçon quasi muet, 200% timoré, que tout le monde prend pour son esclave. Celui de Thy, sous l'emprise de son demi-frère débile, trouvant un travail dans une boite gay, michetonnant avec des touristes étrangers, dans le souci de s'acheter un 650cc pour faire le kéké avec des filles. Et celui de Phearumn chauffeur de taxi, marié à une prof qui n'a pas de travail et trop d'enfants à la maison, et qui voudrait être un autre. Faire des affaires avec des chinois par exemple. Leur vendre de belles et grosses voitures. Autant dire leur tirer leur fric.


Le film baigne dans des business de pacotille, salaires journaliers à 2 dollars, avortement clandestin, chinois achetant le sol du Cambodge, karaoké bourré avec papa, club underground en mode death metal suédois où une partie de la jeunesse, en pogotant, semble tout autant s'inventer un avenir que se dissoudre. La sidération est que tout cela est filmé avec une étonnante tranquillité, à l'instar d'un poulet qu'on ébouillante à l'heure de l'apéro, dans un Phnom Penh en pleine mutation économique, extension libérale, accroissement urbain et ses corollaires : laissés pour compte, casse sociale, dérives. James Joyce, "le grand dragon du verbe” disait : "Ce qui importe par dessus tout dans une création, c'est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir". Ce que nous propose Jessé Miceli, et c'est là en quelque sorte la prouesse, est d'être à la fois au point d'arrivée et à la source des affluents de la création.


If you like tuk tuks and you're a little bonkers, chances are you will feel right at home in Coalesce (Les Affluents). Jessé Miceli's first feature film is a crazy movie, an unidentified object that seems to come straight from Mars but which was actually shot in Phnom Penh, Cambodia. Without any transitions, a series of fragmented micro stories end up forming a visual poem whose aim seems to be to gather all the scattered parts of its narrative. These scattered stories are those of three very young men whose trajectories also become the trajectories of their relatives, of their friends, of all the people they know; in reality they become the story of their city and even of Cambodia in its entirety. As if the whole film consisted in a long backward tracking shot, it gives us an extensive overview of the country. Thus, it turns us viewers into the estuaries of a larger sea. Without really knowing where we're headed, we just go with the flow. We embark on a journey whose destination is unknown and, in the process, we come to forget the point where all the rivers converge.


Entirely captivated by what we see, we follow the daily life of Songsa, a very timid and almost completely mute boy that everybody treats like a slave. Starting with Thy who, incited by his half-witted step-brother, finds a job in a gay club and starts prostituting himself to foreign tourists because he wants money to buy a motorcycle that will impress the girls. We also follow Phearum's daily life, a taxi driver married to a jobless teacher who has too many kids to take care of at home. Phearumn dreams of another life. He would like to do business with the Chinese, to sell them big beautiful cars. But mostly what he wants is to take their dough. The whole movie is about small-time businesses, two bit jobs, back-street abortions, Chinese businessmen buying Cambodian land, karaokes where people drunkenly sing songs with their dads, underground clubs where Cambodian youths pogo dance to Swedish death metal music, at the same time inventing and destroying their future.


What is fascinating is that all of this - along with the chicken that one character nonchalantly kills and boils in the late afternoon - is filmed with an extreme tranquillity, which is in sharp contrast to the major economical and liberal mutation that Phnom Penh is going through. The city is fast growing, which means more and more individuals get marginalized, become poorer and abandoned by the system. Like James Joyce, the “great dragon of verbs”, used to say : “What matters above all when one creates a work of art is the vital necessity from which it came out of”. What Jessé Miceli offers us with his film is a trip to a place which is at the same time the origin and the destination of the estuaries of creation. And that is a great achievement in itself.

Alain Raoust

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Cinéaste


Publié le vendredi 19 juin 2020

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Les Affluents

Un film de Jessé Miceli
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