Martine
Boiteau
1792, en pleine nature. Le vent d'une révolution naissante souffle dans l'Eden d'un couvent occupé par les troupes.
Comment, en 2018, filmer les insurrections sans choisir le modèle de la reconstitution, voire du documentaire ?
Cette question est actuelle et questionne les genres et talents cinématographiques.
Mais à cette époque, l'image était déjà représentée et les colporteurs, magiciens d'optique, en faisaient leur propre diffusion, sillonnant les chemins, embardés sur leur dos de matériel pesant, captant le peuple soumis pour une intelligence, un imaginaire confondus. La révolution s'est acheminée ainsi, en dehors de Paris.
Un Violent désir de bonheur est dans l'esprit de cette époque là.
Le réalisateur Clément Schneider a choisi un cadre propice à la puissance du hors-champ : le 1:1,33, format carré. Ellipse et hors-champ sont unis dans leur intrication.
La religion, la royauté, l'armée, le peuple révolutionnaire sont convoqués dans cet Eden monastique, espace de nature où il faut bien continuer de drainer l'eau, cultiver les oliviers. Le moine Gabriel, courageux de parole, quittant son habit pour revêtir celui de l'armée occupante découvre le désir, charnel, amoureux. Sa Marianne est noire, mutique et parlante dans un magnifique travelling final.
Filmer la (les) révolution (s) n'est pas un exercice facile. On se souvient dans cette même veine de Toutes les nuits d'Eugène Green – 2001. Version baroque où mai 68 en province est filmé en esthétique minimaliste. Puis Philippe Garrel : Les Amants réguliers retour à l'époque de 1969, versant mélancolique, en noir et blanc. L'amour dans l'insurrection, l'opium et les barricades, en plein sang.
Un Violent désir de bonheur est un film moderne qui traverse les temps, les espaces, la question politique, esthétique. Le cinéma devient vivant, sensuel, et musical ; saluons Marianne Faithfull et Patti Smith au passage.
Martine Boiteau
Publié le jeudi 15 novembre 2018