Cinéastes de l'ACID
Alors que les dernières mesures sanitaires ont été levées, il semble que les tendances contre lesquelles nous luttons depuis 30 ans soient sorties renforcées des deux ans de crise sanitaire : polarisation accrue des combinaisons de salles en sortie de film au détriment de plans de sortie médians, recul du nombre de séances pour les films peu diffusés, réduction de leur durée de vie en salles.
On parle beaucoup de l'effondrement des entrées, en particulier pour les films Art et Essai (sans même parler des films dits de recherche…) mais avant de se demander pourquoi le public ne revient pas, il faudrait se demander si l'exposition de ces films est au rendez-vous. Rappelons l'évidence : sans séances, pas de public.
De quoi la réduction du nombre de séances est emblématique ?
L'étude de l'ADRC (Agence pour le Développement Régional du Cinéma) sur les chiffres de 2021 permet d'objectiver la bipolarisation galopante de la diffusion des œuvres. Le nombre de films étant sortis sur plus de 800 copies a atteint un niveau sans précédent : à période équivalente, 32 films en 2021, contre 5 à 18 les années précédentes. L'évidence veut donc que le nombre de séances disponibles pour les autres films diminue d'autant... La notion de solidarité évoquée à longueur de discussions interprofessionnelles semble lointaine.
On y apprend aussi que la vie en continuation des films, celle-là même qui permet aux œuvres de circuler sur tout le territoire après plusieurs semaines d'exploitation s'effondre. Pour une majorité d'œuvres peu diffusées lors de leur sortie nationale, la réduction de la vie en continuation signifie moins de villes de passage, et un accès toujours plus difficile aux films pour le public - qui reste le grand perdant de cette redistribution des séances. A force de fragiliser la visibilité de certains films, certains pourraient finir par disparaitre du paysage.
Ce qu'on nous a présenté comme un état d'urgence, lié à la situation de l'exploitation en temps de pandémie, est en train de s'installer comme une nouvelle norme. Alors que les distributeurs indépendants sont plus fragilisés que jamais, et avec eux, toute la filière ; que dans les salles, les cinéastes mesurent au quotidien le besoin de proposer des récits différents, il faudrait s'habituer à cet état des lieux et aux risques qu'il fait peser sur la création indépendante ?
D'autant que la réduction du nombre de séances des films de la diversité se double d'un refus de discussion d'une partie de la profession (ceux-là même appelant à la solidarité depuis deux ans) autour de la promotion des œuvres dans certaines salles (diffusion de bandes-annonces payantes, etc.). Or, sans cette visibilité, pas d'identification possible des films par les spectateurs, et donc pas de désir d'aller voir.
Autant de sujet qui semblent accessoires mais qui pourtant déterminent les films que nous verrons et surtout ceux que nous ne verrons pas, puisque nous n'en entendons pas assez parler. Ces films, le marché les enterre, le spectateur les ignore.
Moins d'identification, moins de séances, comment s'étonner que le public ne soit pas au rendez-vous ? Parler des salles vides pour certaines œuvres, sans croiser cette donnée avec leur impossible identification par ce même public est a minima insatisfaisant, voire hypocrite.
Dialogue et échange collectif, écoute des acteurs qui inventent au quotidien nous semblent plus que jamais nécessaires et primordiaux, afin de laisser une place à toutes les typologies de films et permettre ainsi au public de continuer à enrichir son regard, à faire ses choix, en toute indépendance.
Cinéastes de l'ACID
Publié le mercredi 06 avril 2022