À propos de La Robe du Soir

Bernard
Rotteleur

Spectateur ACID

C'était en octobre 2009, au festival du film francophone de Namur (Belgique). Chaque festivalier connaît l'angoisse de la programmation : puisqu'on ne peut tout voir, il convient d'arrêter des choix. Oui, mais sur quelles bases ? Peu d'éléments d'appréciation nous sont fournis : un pitch succinct, le nom du réalisateur (réalisatrice), le casting…

Le fait que Lio incarnait un professeur de français du secondaire constituait en soi une curiosité, une sorte de contre-emploi qui m'a d'autant plus intrigué que le titre du film me semblait bizarroïde et que je ne connaissais rien de la réalisatrice dont la présence était au surplus annoncée lors de la projection. Mon planning était établi…Je ne l'ai pas regretté.

Comme nombre de spectateurs, je suis immédiatement entré dans ce film jubilatoire. Quand les lumières de la salle se sont rallumées, la quasi-totalité de l'assistance est restée pour le débat, un débat très vivant, car ce film si fin et si proche de la réalité a rallumé en nous les lampions des souvenirs scolaires et adolescents. Certes, une prof coincée a balayé d'un revers de manche les allégations et arguments du film : « non, cela ne se passe pas comme ça, nous avons une déontologie, etc.…etc.… », mais tous les autres intervenants y sont allés de leur compliment sur la pertinence du propos, et aussi du récit de leur expérience, les langues se sont déliées.

Pour ma part, je suis de la génération qui a connu le succès public du film « MOURIR D'AIMER », avec Annie Girardot, d'après un fait divers tragique, le suicide d'une prof amoureuse d'un de ses élèves, fait divers qui avait à ce point défrayé la chronique que lors d'une pontifiante conférence de presse du président Pompidou, celui-ci, interrogé sur le sujet, s'était fendu d'un commentaire ému en déclamant quelques vers.

Me reviennent aussi des images du film « LES RISQUES DU METIER », avec Jacques Brel et la petite élève « déchirée ».

Plus près de nous, il convient à mon avis d'évoquer le film éblouissant de Gregg Araki intitulé « MYSTERIOUS SKIN », surtout la fascination du premier des enfants pour son beau et charismatique prof de gym et l'appréhension par cet angle inédit du délicat sujet de la pédophilie- côté victime..

Oui, sans aller jusqu'à cette extrémité, la passion et ses désordres peuvent survenir dans une salle de classe. La réalisatrice l'a montré de façon probante. Souvent l'attirance, qu'elle s'exerce dans le sens élève prof ou dans le sens inverse, est frappée de déni, réprimée. Une prof a témoigné de son vécu, à savoir une préférence instinctive pour une élève. En réaction, elle s'est montrée plus sévère avec son chouchou jusqu'au jour où ce dernier est venu lui demander pourquoi elle ne l'aimait pas (un comble !) et pourquoi elle manifestait tant d'injustice à son égard… Une situation paradoxale et cruelle.

Myriam AZIZA n'a pas forcément réalisé un film autobiographique, mais son souci du détail fait mouche. On croirait qu'elle a lu STENDHAL pour la description psychologique, l'analyse des sentiments, l'éveil de la jalousie, les étapes de la passion… ou alors « FRAGMENTS DU DISCOURS AMOUREUX », de Roland BARTHES, et d'autres encore.Voilà pour le scénario. 

Quant à la direction d'acteurs, d'actrices devrais-je dire, elle ne souffre aucune discussion. Au début on peut être surpris par la présence de LIO, et puis on se dit que le choix est idéal, parce que depuis « Banana Split » (-je sais, elle n'aime pas cette référence-), elle a beaucoup fonctionné sur le mode de la séduction, voire de la provocation. Dans le film, on en joue sans en sur jouer.

Quant à la collégienne, elle fait une composition juste, impeccable même. Traduire les émois d'un amour inavouable, les désirs naissants, les doutes et difficultés inhérents à l'âge ingrat (mue du corps, coups de tête, foucades…) , ce n'était pas donné d'avance. Elle l'a fait.

Pour un sujet pas si facile, peu traité au cinéma, la jeune réalisatrice s'en sort avec assez de talent pour qu'on attende impatiemment son deuxième film. J'ai apprécié sa relative modestie et son sens aigu de la progression dramatique. « LA ROBE DU SOIR » est à marquer d'une pierre blanche. Il fait partie des films qui m'ont inondé d'un rare état de grâce. A la fin du débat, nous étions quelques-uns à le penser et à en discuter encore en dehors de la salle (on nous avait priés de partir à cause de la projection suivante).

Bernard Rotteleur

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Spectateur ACID


Publié le lundi 14 août 2017

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La Robe du soir

Un film de Myriam Aziza
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