Cinéastes de l'ACID
De quoi la rareté est-elle le signe ?
La mort de Laurent Achard, cinéaste dont deux films ont été soutenus par l'ACID (Plus qu'hier, moins que demain à Cannes en 1998 et Le dernier des fous à sa sortie en 2006) s'est accompagnée des hommages à la hauteur de l'exigence et de la singularité de son cinéma : « il faudra aussi se souvenir des purs moments de grâce qui étreignent le spectateur et de la si rare occasion d'être encore dérangé en regardant un film » écrivaient ainsi Marie Vermillard et Joël Brisse à propos du Dernier des fous.
De fait, c'est bien cet adjectif qui s'impose au fil des articles : « rare », « trop rare »… Et ce mot nous interpelle, à l'ACID : car s'il déplore avec justesse le trop peu de films qu'aura pu tourner Laurent Achard – au vu de leur importance esthétique essentielle dans le champ du cinéma français de la fin des années 1990 et du début des années 2000 – il n'interroge pas les raisons de cette « rareté ». Faut-il le rappeler, au risque du paradoxe : les cinéastes choisissent rarement d'être rares. Ils et elles subissent cet état de choses qui les cantonne à tourner trop peu. On reconnaît à un cinéaste des qualités profondes, mais on ne lui donne pas les moyens de faire ses films. Pourquoi ? Parce que dans le champ de la création et du cinéma dit d'auteur et/ou Art et Essai prévalent des logiques de marché qui, à force d'avoir infusé au sein même des dispositifs faits pour favoriser la prise de risques, l'entravent. C'est aussi simple que ça.
Avec la disparition de Laurent Achard, nous avons l'occasion, et peut-être aussi l'obligation, d'interroger encore et encore les raisons de cette impossibilité de filmer, de ne pas pouvoir exercer son métier, qui pèse sur trop de cinéastes à qui on accolera cette épithète de « rare », qui nous dédouane et nous permet trop facilement de détourner le regard. Au contraire, saisissons-nous collectivement de ce moment pour regarder en face la solitude désespérante qui pèse sur bon nombre d'entre nous. Il n'est pas impossible que nous puissions en tirer un enseignement solidaire qui nous grandisse, et le cinéma avec.
Les cinéastes de l'ACID
Cinéastes de l'ACID
Publié le mercredi 03 avril 2024