M est fou, très tenu, et passionnément émouvant. Film talmudique sur une spirale, film lui-même en spirale au cœur du cercle vicieux de la pédophilie. Affolement, tourbillon, envers qui se retournent : film de la nuit et du cauchemar, avec ses échos, associations, et son chemin apparemment contradictoire et pourtant parfaitement cohérent, M nous emmène dans une logique où chaque plan retourne ce qu'on croyait savoir, ce qu'on attendait, et nous entraîne plus loin. On plonge dans un monde qui est comme un bouillon, ça bouillonne dans tous les sens, dans la promiscuité, dans les têtes, les émotions, la parole – et dans la folie et la destruction, comme si cette folie et cette destruction étaient la normalité de certains. Monde fou, monde de fous, qui se raconte et se commente presque en riant : à l'image de notre guide Menahem, trop beau parleur plein de rage et rieur, et qui dans le même temps révèle et ses failles et sa force totale. On est dans le monde de la Loi la plus stricte, et l'on peut tout interroger, parler de tout, y compris de l'interdit majeur, bafoué par les gardiens eux-mêmes. C'est comme si la Torah s'était mise sur la tête, servie par des hommes perdus, et qu'elle tournait de manière aussi furieusement dévissée que la forme des rouflaquettes. En spirales, et en trémolos. Car ce qui est raconté : l'omniprésence de la pédophilie chez les Juifs orthodoxes de Bnei-Brak, est terrible. Mais le plus impressionnant n'y est pas le traumatisme, mais la normalité que ce traumatisme et sa répétition s'avèrent être. La cinéaste enjambe elle-même les interdits, et le film réussit par un sortilège étonnant, qui est parfois celui du cinéma, à faire émerger une vérité depuis la contradiction même. Depuis le cauchemar, depuis la folie, une vérité autre : opaque, énigmatique et en même temps très sensible. Au sens de sensorielle, aussi. On croit plonger dans une nuit profonde et la lumière y est omniprésente, à l'image du film dans son ensemble. Les lumières (néons et clignotants et lettres de Dieu devant les bâtiments) sont elles-mêmes comme les traces de la dérive de l'esprit. M est comme notre esprit, malade. Et très vivant.
Publié le mercredi 16 janvier 2019