Je ne connais pas l'Afrique et n'en ai jamais conçu un portrait cinématographique. Mais l'exotisme intense du continent noir m'empêche toujours de vraiment comprendre ce qui là-bas, ne va pas. Avec Tourbillon, j'ai pu voir mon premier film politique africain et saisir que rien ne va plus. Sans esthétisme lyrique, sans dogmatisme militant, sans naïveté angeliste ni anticolonialisme revanchard, S. Pierre Yaemogo réussit à peindre une Afrique aux prises avec la corruption et l'égoïsme. Loin du manichéisme facile, Tourbillon ne désigne pas les coupables et ce sont plutôt deux conceptions du monde qui s'y affrontent, à l'intérieur du pouvoir lui-même, d'un couple ou d'une famille de marchands libanais. Est-on décidé à changer les choses, ou préfèrera-t-on se remplir les poches avant la catastrophe ? Le temps d'un film, tous les personnages seront amenés à choisir entre ces deux attitudes : cette jeune femme décidée à récupérer son fils, malgré les tentations de la vie facile et de la prostitution ; le père de l'enfant, un blanc, las de vampiriser un pays qu'il a appris à aimer ; ce jeune fonctionnaire qui refusera les honneurs et la voie royale de la corruption. La mort accidentelle d'un enfant précipitera le moment du choix et, alors qu'un long cortège funèbre emmène tout l'or du pays vers la Suisse, les « hommes de bonne volonté » resteront pour se mettre au travail, ensemble. Tourbillon garde du film politique à la Rosi une rigueur visuelle quasi Bressonnienne et les acteurs, noirs et blancs, s'y inscrivent avec grâce. Car, si le propos est dur, et la critique acerbe, le film reste baigné d'une drôlerie absolue et maîtrisée : entre la presque invisible et omnipotente « Madame vis-à-vis », la roublardise des ministres pourris, sous couvert de « Bonne gouvernance », et les images fleuries d'une langue savoureuse, Tourbillon est d'abord une comédie, un jeu de massacre irrésistible et tendu, auxquels la violence d'une mort d'enfant et la danse dérisoire des vautours sur un pays en perdition, donnent toute sa force critique et sa lucidité nécessaire.
Publié le lundi 18 septembre 2017