La force et l'originalité de Sombras, ombres en espagnol, est de donner la parole à des immigrants clandestins qui s'adressent frontalement à leur famille restée en Afrique. Ces lettres audiovisuelles envoyées au pays structurent le film. Bribes de vies brisées. Passage de l'ombre à la lumière le temps d'un film. La catharsis opère. Ce faisant ils s'adressent directement à nous, en face à face. Effet miroir. Ils nous parlent de notre humanité ou de ce qu'il en reste.
_ Après avoir pris le risque d'une mort physique, ils prennent un risque bien plus important, celui d'une mort symbolique. Être rejetés par les siens et se condamner à rester des ombres. Leurs proches, maintenant si loin, attendent tellement d'eux qu'ils n'ont pas droit à l'échec. L'argent envoyé par les migrants en Afrique est souvent une question de survie.
Au-delà de la parole, une scène quasi muette résume à elle seule l'absurdité de la situation. Des hommes boivent un café et fument une cigarette autour d'un carton posé sur une terrasse. Sac plastique à la main, ils s'éloignent lentement et disparaissent au loin. Une pelle mécanique vient raser la terrasse. Un nuage d'oiseaux s'envole. Frontières sans cesses repoussées. Comme une mécanique qui se met en place, toujours en fuite, toujours à courir après quelque chose qui n'existe que pour les autres. Une étrange vibration se dégage de la beauté fragile de Sombras. Elle est due à la générosité solidaire du cinéaste qui, coûte que coûte, s'est arraché pour faire exister son film en lui donnant une chair rare, parfois meurtrie, mais toujours debout.
Publié le mercredi 13 septembre 2017