Petites révélations est composé de fragments de vies, de bouts d'existences, d'instants saisis avec la grâce de ceux qui sont des poètes, petites pièces sensibles à première vue sans lien entre elles et qui au fil du film finissent par laisser apparaître l'image dans le tapis. On entre dans ce film comme on pénétrerait, à pas de loup, à l'intérieur d'une toile d'Edward Hopper. Non pas qu'il y ait une véritable similitude des formes visuelles mais plutôt parce que comme chez le peintre new-yorkais, tout en restant la plupart du temps à une certaine distance physique des personnages, nous sommes conduits à éprouver une troublante sensation d'intimité avec eux. Les personnages de Marie Vermillard donnent l'impression de regarder quelque chose que nous ne voyons pas, d'écouter quelque chose que nous n'entendons pas. La cinéaste fait vivre le hors-champ d'une façon saisissante. Comme chez Hopper, on sent que les personnages existent hors de l'espace filmique, qu'ils ont un avant, un après. Ils ont comme leur vie propre, on a l'impression que ce qui les constitue n'est pas contenu, contraint par l'imagination du scénariste ou la durée du plan. Rien de voyeur dans ce geste de cinéaste, mais de l'attention aux autres, à l'autre, une volonté tenace de chercher en lui ce qui le rapproche de nous, ce qui peut en faire notre frère. Et ce qui apparaît dans ce travail précis avec une nudité insistante, c'est que ce qui nous rassemble, ce sont nos failles, nos souffrances, les plus petites, les plus anciennes. Il y a là comme un singulier mélange fait d'un je-ne-sais-quoi d'étrangeté et d'un presque rien de mélancolie. Une impression de solitude aussi se dégage souvent de ces figures humaines dont on s'attend presque à ce qu'elles chuchotent à notre oreille. Et si nous nous rencontrions semble nous dire Marie Vermillard ? Son sens de l'observation d'instants minuscules qui semblent cristalliser des vies entières et la pulsation qu'elle insuffle à l'intérieur de chaque « scène », donnent un film rare rappelant certaines œuvres de grands jazzmen comme Ben Webster, qui tout en soufflant doucement nous offrent des mélodies au tempo impeccable. Petites révélations, alors qu'il avait tous les ingrédients pour incarner le projet conceptuel par excellence, va au bout de son fort désir de liberté et refuse en les envoyant bouler bien loin, maniérisme et posture. C'est un cinéma à la fois minutieux et généreux, fait de grâce et d'enthousiasme. Marie Vermillard semble se jouer des contraintes avec l'aisance du « fildefériste ». En cela elle nous donne aussi à nous autres cinéastes du courage et de l'envie, ce n'est pas la moindre de ses qualités !
Publié le mardi 12 septembre 2017