À propos de J'aime travailler

Charles
Castella

Cinéaste

Il me semble que l'on aurait tort de considérer le film de Francesca Comencini comme un film social réaliste sur le monde de l'entreprise, un film de plus sur l'aliénation des travailleurs exploités par un patronat injuste. Oui, on aurait tort, car sous un drapé réaliste, J'aime travailler est une belle fable sur la condition humaine. Ainsi, durant la vision du film, j'ai souvent pensé à Kafka. Les mouvements de la fiction, le déclenchement de l'action sont proches pour moi de ceux qui débutent Le procès. J'ai vu dans le visage de Nicoletta Braschi, cette beauté des accusés dont parlait Kafka. Car J'aime travailler est d'abord pour moi le récit d'un procès, un procès sans tribunal et sans juge, un procès abstrait, donc terrifiant. Parce qu'il n'y a pas de raisons précises dans la mise à l'écart d'Anna. Elle est déclarée coupable un beau matin, elle ne sait pas de quoi, personne ne le sait, mais tous les autres employés la traitent en tant que telle. Elle est condamnée (comme on condamne une porte) à ne plus servir à rien. Elle est punie, non seulement innocente, mais ignorante de sa faute, adoptant pourtant des postures de coupable et c'est de cela justement que le film tire sa puissance : il n'y a pas de faute, pas d'explication. Anna est coupable d'être Anna, tout simplement. Elle n'est pas licenciée, juste rétrogradée progressivement, et plus elle descend dans l'échelle du travail, plus les regards se détournent puisqu'elle a fini par devenir transparente. Il faut voir alors Nicoletta Braschi, embellie par son châtiment, passer directement de l'espace de l'entreprise à celui de son appartement comme si le monde extérieur n'existait plus. L'air libre ne compte plus pour l'accusée et seule sa fille, figure de l'innocence a le droit au vagabondage entre l'école et le foyer. Voilà pourquoi J'aime travailler est pour moi réussi, parce qu'il a su dépasser le film contestataire et indigné pour fouiller des mystères plus éternels. 

Charles Castella

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Cinéaste


Publié le lundi 18 septembre 2017

Paroles de cinéastes

J'aime travailler

Un film de Francesca Comencini
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