L'enfance de l'art, quand je regarde les films de Pierre Creton ce sont les premiers mots qui me viennent à l'esprit. Je suis admirative, oui, tout paraît si simple « c'est l'enfance de l'art » ; je redécouvre pourquoi le cinéma est né : retranscrire, figurer l'autre, nous et l'autre. Pierre Creton est un cinéaste-paysan comme on dit un prêtre-ouvrier. Il vit en Normandie dans une petite ferme, une vraie, il fait des films, du miel, du fromage. Il fait des prélèvements laitiers et chaque jour il va chez des éleveurs du secteur 545 et c'est ce qu'il nous propose de regarder. Vous avez peur ? Vous avez tort parce que son regard sur les hommes et les bêtes révèle et transfigure. Lorsqu'il filme ce qui l'entoure, il est à la fois peintre, amoureux, philosophe et tendre. Ce film apaise, il y a quelque chose de religieux dans cette figuration. P.Creton serait un peu un saint François d'Assise de la caméra DV parce qu'il n'en a pas la prétention mais qu'il en a la grâce infinie. Mine de rien il en pose des questions ce film : sur la vie des hommes, de tous les hommes, sur la vie des bêtes : un monde existe où le temps est ralenti, où la machine chante un tic tic comme une horloge au rythme de la traite, où l'homme et la vache sont compagnons de route. Un monde où les hommes sentent, expérimentent et en tirent des conclusions (propres à chacun). Leur parole apparaît entière, préservée d'un prêt à penser ; un monde d'apparence rude et d'une sensibilité à fleur de peau, à fleur de pellicule. Un monde souvent ignoré, oublié, heureusement restitué par le cinéma de Pierre Creton dans la filiation de Georges Rouquier et de Jean Rouch : celui qui filme est dedans et dehors à la fois. Il est à égalité avec celui qu'il filme tout en étant à une distance (qui fait dire à un des éleveurs « l'animal c'est toi ») qui permet au film d'ouvrir au spectateur une porte vers l'altérité.
Publié le mardi 12 septembre 2017