Ursula Meier filme une obsession, de la première à la dernière image. Qui dit obsession, dit solitude. Ces petites championnes en herbe vivent le sport comme un théâtre d'ombres, de fous rires, de peurs et de crises de larmes.
Du sport, elles n'ont que les coups de gueule de leur entraîneur, mais la transcendance, le dépassement de soi, ce sera pour demain ou jamais. Et quand par un tour de force du récit, les filles se confrontent physiquement à leurs idoles, les Marion Jones ou les Diagana, l'instant magique laisse un goût dérisoire en bouche.
Avec la même ténacité que Sabine, la même volonté de farouche de savoir son chrono, Ursula Meier ne laisse pas une seconde de répit à Sabine (exceptionnelle Louise Szpindel). Elle la travaille au corps, sans violence ni cruauté, la pousse dans les cordes, que ce soit dans ses rapports avec sa mère (A Coesens, juste et précise), avec le coach (J-F Stévenin, passionnant, généreux,), avec ses copines et co-stagiaires (toutes des révélations), avec son rival et petit copain (G. Gouix touchant d'un bout à l'autre). Même les moments de grâce sont habités de la tension de Sabine, par ce démon du 400 mètres qui la fait grandir trop vite, trop fort, dans l'illusion d'une vie qui ne serait que combat, guerre et gloire.
Ce film laisse une marque sur notre rétine comme une brûlure. Scène après scène, Ursula Meier éclate cette connivence de filles, elle va bien plus loin, comme si elle avait en tête ces écorchées de Fragonard : muscles, tendons, articulations révélés au grand jour. Mais nous, spectateurs, nous voyons autre chose qu'un corps, nous voyons un être, complexe, perdu, seul à se débattre avec une erreur magistrale, inapte à trouver la bonne distance avec l'amour, le désir. Quoiqu'en dise Sabine, quoiqu'elle fasse, sa propre sexualité cogne à la porte et l'emporte loin, très loin de ses rêves de podium.
L'ultime sourire de Sabine est celui d'une victoire. Libre, elle foule l'herbe sauvage loin des dieux du stade. Splendide liberté durement arrachée à l'impitoyable adolescence. Cette victoire est bien plus belle, bien plus précieuse que celle d'une Marion Jones.