Dès le plan inaugural du premier volet de ce triptyque imaginé par Gaël Lépingle, le cinéaste inscrit ses différents récits dans le sillage résolument romanesque d'un film tel que Le plaisir de Max Ophuls. Pas seulement parce que sa mise en scène merveilleusement chorégraphiée semble dessiner un trait à la fois clair et enlevé mais surtout parce qu'il projette le film dans un mouvement qui n'est pas celui de l'habituelle chronique sociale naturaliste. Clairement, il s'emploie davantage à épouser les vertiges et les désirs de personnages que l'on croirait sortis d'une nouvelle de Maupassant.
Trois volets articulent le film comme autant de parenthèses hermétiques les unes aux autres et dont la succession, pourtant, éclaire d'une sorte d'éclat la solitude de ces garçons gays, jeunes et moins jeunes. Trois instantanés où les espaces, les corps semblent saisis dans l'éternité du souvenir. Celui toujours prégnant d'avoir vécu son homosexualité en province.
Sans vraiment évoluer, ces garçons se transforment, se déguisent car là se situe leur grande liberté. Ils déchirent comme on déchirerait une toile de fond ces territoires d'agglomération qui, dirait-on, ont presque été vidés de leurs habitants. Ils traversent de leurs pas parfois dansés ou parfois vacillants sur de hauts talons ces rues à la géométrie quasi abstraite si bien que les contours de cette province semblent se dessiner sur les feuilles d'un décor de studio.
C'est en effet derrière l'artifice des maquillages, des costumes du petit théâtre qui se jouent entre ces héros d'une commedia dell' arte sans spectateur, que Gaël Lépingle cherche le trouble. C'est au-delà de ces apparences, par la légèreté de l'esquisse, de la figure et en assumant même parfois le cliché, qu'il touche au cœur même du vivant, à la complexité tragique du désir.