Paris, Texas.
Après les épisodes texans de Southern Belle (2017) et Ghost Song (2021), plongés au contact de personnages border dans un état américain que la frontière obsède, Nicolas Peduzzi est de retour en France. Il n'a rien perdu de sa capacité à conduire un « suivi documentaire ». Dans ses deux premiers longs métrages, on retrouvait certains visages d'un film à l'autre. À l'hôpital Beaujon, il poursuit son exploration des états limites au contact des patients et surtout d'un médecin : Jamal, seul psychiatre de l'établissement. À peine a-t-on fait sa connaissance que démarre un contre-la-montre. Objectif : écouter les patients en souffrance, et résister à la pression d'un hôpital public qui ne va guère mieux. On se demande d'ailleurs si cet Etat Limite est celui d'une institution au bord de l'implosion, de malades à la dérive, ou la dénonciation globale d'un Etat qui aurait depuis longtemps cessé d'être providentiel. En suivant les pas de ce soignant en blouse-blanche-basket, on plonge au cœur d'un réacteur. Jamal ouvre les portes, d'étage en étage, et on sent bien qu'il aide à trouver la distance : la caméra pénètre dans la chambre, reste à la porte ou se retire. Peduzzi rythme les visites, accentuant la pression à l'aide d'une bande-son techno. À l'image, il intercale de splendides photos en noir et blanc, prises par sa mère, ancienne reporter de guerre.
Loin de n'être qu'une bombe à retardement, État limite ausculte aussi patiemment les échanges, de consultations en pauses clopes. Au détour d'un escalier de service, on entend la souffrance de ceux qui soignent. « Ce qu'on fait là, c'est une métaphore de la société », et quand ils se livrent à l'oreille de leur collègue ce sont aussi des mots adressés à la caméra de Nicolas, qui trouveront écho dans nos salles. Jamal lui-même nous parle directement. Au terme du film, il assène : « la journée est finie, enfin… pour vous ». Et le tic-tac reprend.