Arnaud réouvre son chantier : cette vaste entreprise de dérushage de l'inconscient collectif américain commencée avec Diane Wellington il y a dix ans. On lui a confié un trésor, des kilomètres de pellicule U.S, d'archives de toutes natures. Il a carte blanche pour labourer, triturer, farfouiller, se perdre, s'y retrouver.
D'autant que ces images, du noir et blanc à la couleur, du film de vacances aux actualités, racontent comme malgré elles, entre rituels familiaux et événements collectifs, les spasmes de l'histoire américaine, coincée entre son rêve d'émancipation et la réalité brutale du capitalisme. Elles content aussi les rapports visuels d'un continent et de son imaginaire, vaguant entre westerns et films noirs. Arnaud va réagencer, réinvestir ce corpus choisi et en squatter le mutisme mélancolique, pour en extraire, à nouveau, un troisième film fort de la puissance renouvelée, exponentielle, du cinéma.
Car, loin du simple « found footage » ou du « ready-made » chers aux avant-gardes des 70', le travail d'Arnaud des Pallières consiste, en une alchimie radicale, à redéployer ces images dans un nouveau contexte, à leur prêter sens, à leur rendre leur pouvoir de fictions potentielles. Se méfiant comme de la peste du commentaire, Arnaud filme du texte, tourne des plans-phrases à part entière, qui viennent strier le flux des archives et de la « mort au travail », le larder d'amorces de récit, de souvenirs d'enfance, de propos recueillis ici ou là auxquels le spectateur est invité à donner corps, et lieu, et sens, dans le cortège de fantômes, de dates, et de paysages, que forme le montage.
Au final, le film est bel et bien un journal, celui d'un.e américain.e générique, intemporel, a-géographique, et le matériau hybride d'image et de textes, épars, fragmentaire, ne s'assemble que dans l'enveloppe envoutante du son, célébrant avec fièvre l'expérience première et ultime du cinéma. Si elle existait, on pourrait en appeler à la catégorie du documentaire de re-création. Et les travaux exemplaires des Ricci-Lucchi/Gianikian sur l'archive ou de JLG sur les « histoires du cinéma » offrent sans doute au duo des Pallières/ Martin Wheeler l'audace d'aller encore plus loin dans le contrepoint musical du son et de l'image, parfois au bord d'un synchronisme rassurant, toujours en lisière d'une envolée symphonique, de l'écho de la foudre ou de la bombe atomique. D'une finesse et d'une poésie remarquable, cette piste sonore, sans jamais illustrer, ni dicter un sens clos, laisse sa place à la rêverie, et au spectateur ses hypothèses d'autant de films possibles, de « déjà vus » indécidables.