Dès le début, la magie fonctionne. Claire est étudiante montée en graine qui traîne des parents sinistres, une improbable thèse consacrée aux Dogons et des amours languissantes avec un homme marié, a mal à la tête. Elle va consulter le docteur Fish qui ne se montre pas d'abord très intéressé. Elle insiste, le harcèle et il décide de l'hospitaliser. S'intéresse-t-il finalement à son cas ? A moins qu'il ne s'amuse avec elle, ne la manipule avec sadisme ? Le ton est ainsi donné. L'œil rond d'Anne Brochet qui hésite entre la détresse et l'indignation de n'être pas prise au sérieux et le sourire aigu, apparemment bon enfant et inquiétant au fond, d'Yves Jacques nous font osciller entre l'amusement et l'angoisse. Bien décidée à ne pas perdre son temps, c'est à dire à continuer à s'ennuyer ferme avec ses Dogons, Claire s'est munie de son ordinateur portable. Mais comment travailler entre ses deux voisines de chambre, Odette (Mathilde Seigner) populaire et bavarde, éclatante de santé mais qui refuse de marcher et se passionne à longueur de journées pour les jeux télévisés et Eléonore (Annie Noël) vieille dame au visage lisse de poupée de porcelaine, presque toujours immobile dans son lit, raide comme un piquet, qui ne parle pas mais pousse parfois de longs hurlements. C'est l'étrange réaction alchimique qui s'élabore entre ces trois femmes qui décrit le film de Claude Miller, mélangeant avec maestria, humour, suspens, inquiétude, voire angoisse. La pulpeuse Odette qui n'a sans doute jamais entendu parler des Dogons mais qui est autrement plus vivante que la filiforme Claire (qui malgré toute sa culture), a recueilli dans son appartement Fatou, une africaine sans papiers et ses enfants. Quant à Eléonore, que l'on peut croire à certains moments aux portes de la mort, est-elle dotée aussi d'étranges pouvoirs comme le raconte Limoges, l'infirmier africain, tout imprégné encore de sa culture ancestrale ? Est-elle capable de guérir des bébés incurables ? En tout cas, quand on l'attache dans son lit, ses liens se défont d'eux-mêmes et elle part en des expéditions nocturnes à travers l'hôpital. Alors nous frôlons pour quelques instants un film d'épouvante... et efficace.
_ La virtuosité technique de Claude Miller n'est plus, depuis longtemps à démontrer ; L'utilisation des « petites caméras » confère à sa mise en scène une étonnante fluidité. La visite qui réunit dans la chambre, outre les trois patientes, Fatou et ses mômes, les parents de Claire, le mari d'Eléonore (émouvant Jacques Mauclair) et quelques autres, est à ce titre exemplaire et réjouissante. On connaît aussi le talent de ses interprètes mais, là, affranchis des contraintes techniques, ils s'éclatent comme jamais peut-être. Et c'est une impression de joie qui, en définitive, émane de La Chambre des magiciennes. Joie de faire du cinéma, joie de raconter une histoire, joie de jouer la comédie, joie d'être spectateur.