Les Mains vides

Un film de Marc Recha

Les Mains vides

Un film de Marc Recha

France, Espagne - 2003 - 130 min

L'histoire pourrait se raconter du point de vue de Perroquet, un agaçant volatile qui a vu sa maîtresse, la vieille Madame Catherine, lâcher la rampe à force d'excès et se faire enterrer en catimini par Eric le mécano. Elle pourrait aussi se raconter en s'arrêtant aux trains qui traversent cette petite ville, des wagons parcourus de contrôleurs nomades comme Sophie, déversant leur lot de passagers parmi lesquels le trop séduisant Gérard qui ne fait précisément que passer. Elle peut aussi se saisir au travers des bouteilles que sert Yann le cafetier...

Avec :
Olivier Gourmet , Eduardo Noriega , Dominique Marcas , Jérémie Lippmann et Mireille Perrier

Sorti le 11 février 2004

Sortie non communiquée

À propos des Mains vides

Un bel homme circule dans les trains sans billet ; Mireille Perrier est contrôleur sur la même ligne de train : mais ce n'est pas l'histoire. Une très vieille femme rit beaucoup, surtout quand elle a bu ; elle cache aussi des liasses de billets dans ses tiroirs, à moins qu'elle ne les y ait oubliées, tout simplement. Ce n'est pas l'histoire non plus, bien que ces billets nourrissent, quelques personnages, et le film en sus. Alors où est l'histoire ? Où consiste-t-elle ? Dans Pau et son frère, le film précédent de Marc Recha, le lien familial, si affaibli fût-il, faisait l'histoire, central jusque dans son effacement ; ici, le lien est infiniment plus distendu ; j'ai envie d'écrire, ici, rien. Quels liens ? Des liens familiaux une fois encore, mais opaques, très peu affirmés dans le geste quotidien, bien qu'ils soient invoqués parfois avec véhémence par les personnages. Ce sont trois frères et sœur, ou bien un oncle (Eric, le magnifique et toujours changeant Olivier Gourmet), son neveu et sa nièce (Axel, jeune homme qui vole parfois et qui se pique toujours – il est diabétique – et Mireille Perrier qui a deux fois son âge) – spectatrice attentive, je ne peux pas trancher ; je ne suis pas certaine non plus, pour rester dans la veine familiale, si Mireille Perrier a des enfants, et lesquels. Des enfants, en tout cas, il y en a : au point du film où on les rencontre, on ne se demande plus à qui ils sont, mais ils y sont avec une présence incontestable. Il y aura des liens, à peine, avec celui qui vient d'ailleurs, l'homme sans billet qui ne fait que passer, et qui repartira sans même avoir volé l'argent : les mains vides, lui aussi. Mais aussi des liens d'amitié, de loi et d'intérêt, avec d'autres personnages ; des nœuds furtifs de désir et de rivalité ; mais ces liens ne sont pas plus repérables. L'amitié et la loi se mêlent (le gendarme, son jeune repris de justice, et ses deux amis, larrons voleurs de cadavre) ; l'intérêt financier et l'attachement sont mouvants, se renversent l'un dans l'autre – ainsi, Olivier Gourmet a-t-il plus de plaisir à voler la vieille Madame Catherine ou à s'enivrer avec elle, en compagnie de son rire et de son perroquet ? Plus de plaisir, ou plus d'angoisse, dans un cas comme dans l'autre ?


Les mains vides, le titre contient le film, assemblage troué et débordant de trop-plein – trop-plein d'amour universel, de confusion, d'ivresses répétées, de réjouissances, de liens qui n'en sont pas, qui se délitent. Qu'est-ce qui fait lien alors ? La circulation – et le spectateur aussi, invité à la fête, circule dans le film, il n'a que ça à faire. On a les mains vides puis pleines puis vides ; l'argent passe et on s'en défait. Mais pendant cette perte, la petite histoire s'est construite ; l'on n'a pas vu le film capitaliser sur toutes ses absences, et son pécule nous saute aux yeux dans un burlesque soudain ; et si ce pécule s'évanouit ensuite, c'est encore au profit d'autre chose – car le film finit bien par nous raconter quelque chose. On se défait de l'argent, bien qu'on soit prêt à se battre pour, et l'on se débarrasse des cadavres : les cadavres circulent d'ailleurs autant que l'argent, et ils sont plus propres. On dirait que l'argent brûle autant les mains que les cadavres ; qu'il est plus facile d'être naturellement embêté par un corps mort que de s'avouer son embarras face à une liasse de billets dont on ne sait que faire, bien qu'elle apporte une jouissance certaine ; qu'avec l'argent il est aussi honteux de désirer, de posséder, que de n'en pas vouloir, de n'en pas profiter (de ce point de vue le film règle trop facilement la circulation de la patate chaude, qui faisait notre plaisir ambigu, en faisant passer l'argent par la machine à laver).


Le film a les mains vides et les bras grand ouverts ; il devient une auberge catalane, ce qui est sa grande force et aussi la facilité dans laquelle il verse parfois. Il accueille n'importe quoi (toutes les paresses, opacités, impasses inutiles, mais aussi gadgets visuels) mais aussi l'essentiel : passe qui veut. Car sans cette hospitalité, comment le film pourrait-il nous conduire à la table de Noël où il se termine presque ? On est chez soi, là, puisque le spectateur aussi est inclus d'office, membre de cette famille élargie dont le film se fait l'hôte ; et l'on rit de la dinde pas cuite comme on rirait si on y était, à cette table de nos joyeux amis misérables. Hospitalité rare ; à mon tour, à ma mesure, j'invite qui veut à y passer un moment.

Marina Déak

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