C'est un de ces appartements bourgeois encombré d'objets accumulés au fil du temps, sur lequel semble planer de multiples strates de vie passée. Dans ce décor qui paraît figé dans une éternité tranquille, se faufile, à l'heure du loup, deux matous un peu froissés. Dans un lit, somnole un vieux couple qui ne semble pas pressé de répondre à cette envie pressante de croquettes. C'est ainsi pense-t-on que se savoure une retraite bien méritée. Même si l'oeil entrouvert d'Isidora laisse tout à coup pointer un brin d'inquiétude, comme s'il anticipait une calamité, en l'occurrence un appel téléphonique de leur fille Rosario.
Un sacré numéro, la Rosario, dont les visites intéressées et vibrionnantes ne sont guère du goût de nos ancêtres, pas plus que de celui des matous qui se voient perturbés dans leurs habitudes (la chère enfant est allergique aux poils de chat). Et de fait la voici, de retour d'un périple au Pérou, qui annonce sa visite prochaine avec son copain Hugo, une fière à bras qui répond, pour l'état civil, au doux nom de Beatriz. Le temps pour le vieux couple de tenter une vaine parade et la voici qui débarque, les bras chargés de photos de son séjour, et d'un vaste échantillon de savons aux plantes dont elle entend faire petit commerce au Chili. Mais sous la logorrhée, après un bourre-pif à la cocaïne dans les chiottes pour se donner du courage, perce alors une arrière-pensée, dont elle va accabler les deux vieillards: tenter par ruse ou par force de faire signer à sa mère la vente de son appartement. Une démarche qui trouve sa justification dans le souci que se fait une fille aimante pour « l'avenir »: le quartier est de plus en plus dangereux, habiter au 8ème étage avec un ascenseur souvent en panne n'est pas raisonnable... D'abandons en résistances, la vieille dame n'est pas dupe…
« Familles, je vous hais » lançait Gide dans un bon jour. Faut-il l'avouer, on prend d'autant plus de plaisir à cet affrontement mère-fille que l'on recommence, hélas, à trouver aujourd'hui certaines vertus à ce nid de serpents à sonnette qu'est la famille. Mais au-delà même de cet amour/haine, on ne peut s'empêcher de compter les points en pensant aux vieux chats qui viennent miauler le matin aux portes de la chambre pour obtenir leur ration de croquettes. Pour eux, ce serait la piqûre, aussi sûrement que ce serait la mort pour leurs maîtres. Et à ce titre, on croise les doigts pour eux.