L'EFFET DE « MOD'S »
Où sommes-nous ? Quelque part au cœur d'une petite ville universitaire, dans une pension étudiante aux allures oxfordiennes ; et si l'on s'évertue ici à faire respecter le règlement, dans les jardins souffle un air de printemps. Le bel Édouard, autour duquel ce petit monde tendu semble s'articuler, est sujet à une étrange maladie ; ni la directrice énergique et son indécis de mari, ni l'élégante et dépressive professeur d'histoire, ni même la bande des Mod's qui pavanent sur le trottoir, ne savent véritablement à quoi s'en tenir quand, appelés à la rescousse, arrivent les deux frères d'Édouard, militaires de leur état, en décalage complet avec cet univers réglé comme du papier à musique. Paul et François réussiront-ils à sauver leur frère de sa langueur, de lui-même, à percer ses mystères... ? Difficile de circonscrire le projet cinématographique de Serge Bozon à un genre préexistant, chose tous comptes faits plutôt réjouissante en ces temps de « déjà vu » filmique généralisé. On se verra donc prié de laisser tout habitus scénaristique au vestiaire de ce pensionnat Jamesien ; voilà toute piste (lettre, aveux, aparté) immédiatement interdite par la suivante pour mieux nous y perdre. Un renoncement sans regret, qui offre à qui sait la saisir la chance du labyrinthe, le frémissement du complot, la contagion ludique du désir. Devant la caméra au beau fixe, quelque chose se trame... Une mécanique inouïe s'enclenche, que ne menacent aucune explication, aucune (bonne) résolution. Le sens attendra la toute fin, laissant au spectateur le pur plaisir de l'intrigue et du jeu ; lieux, personnages et situations, s'imbriquent ainsi en château de cartes fragile comme pour fomenter à notre insu une tragi-comédie minimale, d'autant plus jubilatoire que les termes exacts de son développement nous échappent.
Seuls repères chroniques dans cette troublante insurrection de couloir, les ballets hiératiques de la bande des Mod's, ondulent nonchalamment entre Bob Wilson et Procol Harum... Drôles d'interludes fugitifs qui viennent, non sans grâce, scander le déploiement inexorable du film du haut de leur détachement dandy, à la manière d'un chœur antique. Grâce à la candeur de ses frères, la nature amoureuse de la maladie d'Édouard sera révélée aux yeux du monde... D'un coup, c'est tout le film qui semble gagné d'un accès fatal de chorégraphie, emportant personnages, sentiments et secrets, dans le menuet Swinging London de la mélancolie. Les deux frères (« militaires, c'est leur métier ») s'en retourneront du côté de Rochefort, de Cherbourg ou de Nantes ; Édouard, guéri, pourra enfin renaître à l'amour... Et la maison d'étudiant continuera de péricliter doucement dans la fraîcheur de ses jardins... Mais rassurez-vous, rien n'est rentré dans l'ordre puisque d'ordre, il n'a jamais été question...