Le film Nulle part, terre promise commence avec le mouvement d'une jeune femme qui déambule dans une architecture où les images se multiplient, se brouillent. Ensuite ça ne s'arrête plus, mouvement perpétuel, entrelacement de trois récits, chacun en mouvement, le rythme de chaque histoire est donné par le mode de déplacement, train, camion, errance dans la ville ou les zones pré-urbaines. On suit ceux qui sont en quête d'un monde meilleur et dont ils n'aperçoivent que des fragments du fond d'un semi-remorque. Par la petite ouverture à l'arrière de l'énorme camion qui traverse l'Europe en allant vers l'Ouest, ils regardent l'avion dans le ciel qui transporte d'autres hommes plus libres de circuler à un autre rythme et avec d'autres facilités. On suit aussi d'autres camions qui eux vont de l'Ouest vers l'Est et transportent les machines d'une usine délocalisée en Hongrie sous l'œil ahuri et passif d'un cadre moyen « pas responsable, pas coupable », qui ressemble à nous tous et subit les événements avec un malaise palpable, gluant mais sans l'ombre de révolte.
Enfin, on suit l'aller-retour d'une jeune femme, Ouest, Est, Ouest, l'esprit mobilisé par des problèmes sentimentaux dont on ne saura rien, petit souci luxueux dans un environnement qui part à la dérive. Elle enregistre avec sa petite caméra au fil de son voyage les êtres qu'elle croise. Ces êtres entr'aperçus paraissent habiter des espaces parallèles, quasiment invisibles, ils ne troublent en rien un monde où ça continue à bouger, vendre, acheter, se déplacer, un monde qui se meut dans le bruit et dont la fureur n'explose pas.
L'approche de Finkiel n'est pas sentimentale ni émotive, pas d'identification. Il retranscrit l'effet physique que ce monde a sur nous ; l'environnement sonore violent où le silence n'a plus de place, les traversées de lieux sur urbanisés où la nature n'existe plus que sous forme de terrain vague font jaillir l'absurdité, le non-sens monstrueux de cette machine qui tourne et tourne et nous entraîne sans que nous ne soyons jamais des acteurs. La bande son est admirable et à elle seule permet de saisir combien nous sommes écrasés, proches de l'ahurissement - le bruit des machines, des métros, des voitures, des trains - un monde plein, trop plein. J'ai ressenti ce film physiquement, Finkiel réussit par les moyens du cinéma, cadres, sons, à mettre en scène ce chaos contemporain que nous ne parvenons pas à saisir et qui nous échappe emporté par sa perpétuelle transformation, assourdissant et accélérant jusqu'à nous exclure nous donnant ce terrible sentiment de n'avoir pas prise sur ce qui advient. La force de Finkiel est cette capacité de cinéaste de transcrire sa vision mentale en sensations physiques, ce serait la pensée de Virilio mise en cinéma, de la pensée sensible. Il est nécessaire de saisir ce que nous vivons aujourd'hui même si ça ne nous fait pas plaisir ; c'est peut-être le sens de cette dernière image où la jeune femme voit apparaître son reflet dans la vitre du train alors qu'elle assiste à l'aboutissement tragique de ceux qui ont voulu traverser le miroir.