Le film de Catherine Breillat ne peut se regarder sans effroi. Il met en oeuvre le combat archaïque que se livrent un homme et une femme, combat dont l'enjeu n'est rien moins que la possibilité d'être. Marie, l'héroïne, décline au milieu du film, le verbe être et le verbe avoir. Elle conclut : « on peut être sans avoir, on peut avoir sans être ». « Je me suis fait avoir » dit-elle ensuite. Cette question de l'être et de l'avoir rappelle ce en quoi les femmes et les hommes sont englués dans leur image corporelle. Avoir un sexe d'homme, c'est avoir un sexe objet. Avoir un sexe de femme, c'est avoir un corps sujet. Si le corps de Marie appelle la sujétion archaïque qui produit du spasme et du plaisir mêlé d'anéantissement, tout son esprit aspire à l'intégrité de l'être, c'est-à-dire à être libérée de cette sujétion. Lui, refusant d'offrir son sexe et de se voir utilisé, aspire aussi, par refus, à demeurer intègre par défaut. Ainsi naît leur amour. Deux êtres se veulent entiers et intègres, non objets et non assujettis. Filmer cette radicalité de deux personnes qui se livrent un combat mortel dont leur sexe d'homme et de femme ne sont que des emblèmes manipulés (physiquement) et manipulant (psychiquement), c'est montrer ce que d'ordinaire on ne veut pas voir. En quoi hommes et femmes sont piégés par la particularité de leur condition corporelle qui les empêche « d'être » ensemble. La volonté de Marie d'avoir le dernier mot en usant de sa force génitrice : j'ai un enfant, un garçon et c'est moi, femme, qui permet à un homme d'exister, sinon d'être, serait la limite du film en ce qu'il proposerait pour solution au combat le recours à l'archaïque puissance du matriarcat, qui n'est que façon de reproduire à l'infini cette guerre et d'en jouir. Avoir un enfant pour être, est à mes yeux un leurre et c'est ce par quoi Marie se fait finalement piéger : la confusion de l'être et de l'avoir. Celui qui naît n'appartient pas. Il est. Mais peu importe cette limite car le film vaut par ce courage à filmer la double aliénation d'une femme par un homme et d'un homme par une femme, jusque dans sa façon de montrer que le rapport sexuel est le lien d'un paradoxe, voire d'un malentendu, de montrer que la fusion des corps n'est qu'une image de complémentarité et comme beaucoup d'image : un écran. D'où la beauté de ce film où Breillat va avec ses acteurs jusqu'au bout d'un propos qui ne vise ni à séduire ni à rassurer mais qui rappelle avec force que rien n'est évident, que quand on parle d'amour, on ne peut ignorer cet archaïque combat, que l'occultation de celui-ci fabrique au cinéma le cliché du couple pour qui l'image de deux corps confondus serait celle de la trêve ou de la réconciliation. Filmer aujourd'hui avec force et courage cet archaïsme, c'est rendre problématique et inquiétante la réalité, c'est donc nous redonner du champ pour penser, c'est-à-dire pour réfléchir alors que l'époque veut le consensus, c'est-à-dire l'occultation de ce qui est problématique. C'est pourquoi ce film inquiétant me rassure tandis que d'autres, en apparence plus rassurants, m'inquiètent.